Les dissensions au cœur du Courant du futur, les dernières évolutions de l’élection présidentielle et l’actualité politique ont été au centre de l’entretien que le député de Denniyé, membre du Courant du futur, Ahmad Fatfat, a accordé à Magazine.
Comment décrivez-vous la situation aujourd’hui au cœur du Courant du futur?
Le Courant du futur n’est pas un parti politique rigide. Il existe plusieurs courants à l’intérieur de ce parti. Il arrive souvent que nous ayons des points de vue différents mais, en définitive, c’est le président de ce courant, Saad Hariri, qui décide et tout le monde suit. De temps en temps, il y a des malentendus qui ont pour raison principale l’absence prolongée de Hariri en dehors du pays, le manque de moyens financiers et la non-tenue d’un congrès du parti depuis six ans. Tout cela a conduit à une accumulation d’une série de malentendus. Il est vrai que la situation actuelle exige une analyse profonde et une réévaluation.
Quel regard portez-vous sur la situation créée par le ministre démissionnaire Achraf Rifi et par les propos du ministre de l’Intérieur Nouhad Machnouk?
Achraf Rifi et Nouhad Machnouk ont quelque chose en commun: ils reconnaissent tous les deux Saad Hariri. Ce qui s’est passé à Tripoli est le résultat de divergences sur les choix politiques, surtout en ce qui concerne le dialogue avec le Hezbollah. C’est ce qui a conduit Rifi à soutenir la liste de la société civile, une liste qu’il n’a pas créée lui-même, mais qu’il s’est contenté d’appuyer. La majorité des électeurs étaient mécontents et cela pour plusieurs raisons: la performance de l’ancien conseil municipal, le dialogue avec le Hezbollah, etc. Les électeurs à Tripoli ont adressé un message politique clair: ils font toujours partie du 14 mars, mais ne sont pas d’accord sur les alliances à Tripoli. De cette manière, on comprend que beaucoup d’électeurs ont exprimé leur mécontentement en votant pour la liste soutenue par Rifi. Il est clair que l’opinion publique ne soutient plus notre démarche.
Comment un ancien directeur général des Forces de sécurité intérieure a pu financer une campagne de cette taille?
Ce n’est un secret pour personne que la famille de son épouse possède de gros moyens financiers. Et de plus, il a obtenu le soutien de quelques amis. Mais je n’ai pas eu l’impression qu’il y ait eu un flot d’argent versé dans cette campagne et je n’ai pas eu de preuves qu’il y ait eu des achats de voix. Les dépenses ne sont pas aussi énormes qu’on le croit.
Quelle est votre relation avec Achraf Rifi?
Les gens ont l’impression qu’il y a une rupture entre Rifi et le Courant du futur, mais ce n’est pas le cas. Personnellement, j’ai des contacts réguliers, voire quotidiens, avec lui, qui n’ont pas été interrompus. C’est un ami personnel et je n’ai aucun doute sur ses choix politiques concernant les constantes du 14 mars et la primauté de Saad Hariri. Il y a une rivalité connue de tous entre Achraf Rifi et Nouhad Machnouk, mais tous deux reconnaissent qu’il n’y a qu’un seul leader politique, Saad Hariri.
Que pensez-vous des propos du ministre de l’Intérieur Nouhad Machnouk?
Je n’ai aucune explication. Je n’ai pas encore pu discuter avec lui. Je pense que c’est une analyse personnelle basée sur des données qui lui sont propres. Les miennes sont différentes. Je ne comprends pas pourquoi ce sujet a été mis sur le tapis maintenant.
Pensez-vous que Saad Hariri était au courant de ce que Machnouk allait dire?
A ma connaissance, Hariri n’était pas au courant. En revanche, la déclaration de Ammar Houri a eu l’aval de Saad Hariri.
Quelle est la position de l’Arabie saoudite dans tout cela?
L’Arabie a ses priorités dans la région qui sont le Yémen, l’Irak et la Syrie. Le Liban n’y figure pas, ni d’ailleurs dans celles de beaucoup d’autres pays. En revanche, le Liban représente une priorité pour l’Iran. Le royaume veut rassembler les Libanais pour éviter que le pays ne glisse vers le volcan de la région. Cet intérêt saoudien se manifeste sur un double plan: intercommunautaire et intracommunautaire. Ils ont tenté de rassembler tous les sunnites.
Mais ils ont écarté Rifi du fameux dîner…
Parce que sa présence ajoutait un problème au lieu d’en résoudre. Mais de toute manière, je pense que cela a servi Rifi. Les gens se sont solidarisés avec lui et lui ont manifesté leur sympathie quand il a été écarté. L’ambassadeur d’Arabie saoudite, Ali Awad Assiri, a gardé le contact avec Rifi et il l’a félicité au lendemain des élections. L’Arabie saoudite n’est pas partie dans ce jeu de micro-pouvoir. Sa priorité est ailleurs.
Que pensez-vous de tout ce qui se dit concernant une évolution du dossier de la présidentielle?
C’est une illusion de croire que l’élection présidentielle est une question libanaise. Tout ce qui se passe actuellement est un jeu dans un temps mort. Ceux qui croient avoir un pouvoir sur ce sujet se sont trompés très souvent. La réalité est que l’Iran et le Hezbollah ne voudraient jamais lâcher du lest en ce qui concerne le dossier de la présidentielle. D’autre part, ils ne voudraient pas faire revivre le système libanais tant qu’ils n’ont pas obtenu des avantages sur d’autres sujets, tels que la loi électorale et la redistribution du pouvoir. Le Hezbollah et l’Iran se jugent aujourd’hui en position de force au Moyen-Orient. Je ne vois pas d’élection présidentielle à court terme. Les manœuvres actuelles relèvent plus de la politicaillerie que de la vraie politique.
Et toutes les rumeurs concernant un compromis qui verrait le jour en août?
Je ne prends rien au sérieux tant que je ne vois pas de décision régionale ou carrément iranienne dans ce sens. Le Hezbollah et l’Iran ont pris en otage le Liban avec la présidentielle. Pourquoi voulez-vous qu’ils libèrent cet otage sans aucune contrepartie?
Le Courant du futur pourrait-il voter pour le général Michel Aoun s’il y a un compromis dans ce sens?
Saad Hariri maintient la candidature de Sleiman Frangié et s’il y a un virage vers le général Aoun, beaucoup de députés du Courant du futur ne voteront pas pour lui. Mais il n’y a aucun veto. Ceci veut dire que nous sommes prêts à nous rendre au Parlement chaque fois que nous serons convoqués. C’est aux absents de venir assurer le quorum. Nous ne nous absentons jamais. C’est une attitude citoyenne qui n’a rien à voir avec la politique.
Que pensez-vous de la récente position de Walid Joumblatt dans laquelle il affirme ne pas avoir d’inconvénient à voter pour le général Michel Aoun?
On n’est jamais sûr du lendemain avec Walid Joumblatt. S’il veut voter pour Aoun, qu’il emmène avec lui au Parlement le Hezbollah et le Courant patriotique libre et qu’ils l’élisent. Mais qu’ils n’exigent pas de nous de voter pour lui. Si le général Aoun était élu, nous irions certainement le féliciter en tant que président de la République. Mais de toute manière, Sleiman Frangié reste, à ce jour, le candidat de Saad Hariri.
Peut-on dire aujourd’hui que le Courant du futur enregistre un net recul?
Ceci est un fait dû à plusieurs raisons, notamment l’absence prolongée de Saad Hariri, le manque de moyens financiers et les attaques injustifiées que subit ce courant, même de la part de ses propres alliés. Cela s’inscrit dans le cadre de l’attaque menée contre la communauté sunnite qui se sent aujourd’hui menacée. C’est une guerre contre la modération que représente le Courant du futur. Malheureusement, beaucoup d’acteurs sur la scène libanaise ne se rendent pas compte de ce que signifie toute cette pression sur un courant qui a pris en pleine poitrine la parité et la notion du «Liban d’abord». Beaucoup de questions se posent au sein de la communauté sunnite. A-t-on fait le bon choix ou faut-il se diriger vers plus de radicalisation? A ce moment, ce ne sera plus le Courant du futur. Ce sera une autre approche politique qu’on devrait faire.
La modération est-elle donc en danger?
Je crois que oui, bien que ce ne soit ni le choix du Futur ni celui de Saad Hariri, mais pour des raisons régionales et surtout pour la primauté que certains ont donnée à des acquis tactiques plutôt que des choix stratégiques. Quand le Futur a adopté la politique de la parité et de l’ouverture, nous avons constaté que certains de nos alliés se sont retournés contre nous pour des considérations de municipalités ou d’un nombre de députés. Ils nous ont fait assumer tous les malheurs du pays sous le label des droits des chrétiens. Mais le plus grave c’est que tout le pays, y compris les chrétiens et le système démocratique, est en danger à cause de la présence d’une milice armée qu’est le Hezbollah. La communauté sunnite ne comprend pas l’acharnement contre elle, alors qu’elle est la communauté la plus pauvre, la plus démunie du pays et celle qui compte le plus grand taux d’illettrés. On joue à un jeu dangereux avec la communauté la plus démunie.
Propos recueillis par Joëlle Seif