Magazine Le Mensuel

Nº 3069 du vendredi 2 septembre 2016

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Décembre 1956-septembre 2016. La saga d’un hebdomadaire, le combat d’un homme

En 1956, Georges Abou Adal décide de fonder un groupe de presse, Les Editions Orientales, en lançant sur le marché l’hebdomadaire francophone, Magazine, L’Illustré du Proche-Orient, puis, deux années plus tard, l’hebdomadaire panarabe Ousbou Al Arabi. Tout au long des années, plusieurs rédacteurs en chef, directeurs de la rédaction, directeurs généraux, se sont succédé à la tête de Magazine, jusqu’au retour de Charles Abou Adal des Etats-Unis, en 1978, en pleine guerre.

Dès son arrivée aux Editions Orientales, Charles Abou Adal a procédé à une réorganisation et à une réorientation stratégiques du groupe, en transformant Magazine et Ousbou Al Arabi en revues de combat, porteuses d’un message politique, s’articulant autour des constantes nationales de l’indépendance, de la souveraineté et de la liberté. Ce repositionnement éditorial intervenait à un moment où le Liban replongeait de plus belle dans la guerre, après la courte accalmie qui a suivi «les événements» de 1975-1977, et que les rivalités entre les pays arabes éclataient au grand jour, à la veille des accords de Camp David.
Cette décision n’a pas plu à certains, au Liban, qui ont exprimé leur mécontentement en dynamitant la voiture du P.D.G. des Editions Orientales, en avril 1979, et en plaçant une charge explosive à Mkallès devant les imprimeries du groupe de presse, à la même époque. Ces actes d’intimidation ne l’ont cependant pas dissuadé de poursuivre la transformation des deux revues, devenues des médias engagés, craints et respectés, au Liban et dans le monde arabe. De nombreux gouvernements arabes ont d’ailleurs exercé des pressions sous diverses formes, en durcissant la censure, ou en menaçant de suspendre la distribution des publications dans leurs pays, tantôt pour obtenir un changement de la ligne éditoriale, tantôt pour réclamer une plus grande «coopération». Ces vaines tentatives n’ont fait que conforter Charles Abou Adal dans la justesse de ses choix, uniquement guidés par un attachement à l’idée d’un Liban uni, libre et indépendant.
Diplômé des universités américaines, de formation et de culture francophones, Charles Abou Adal, alias CAA, s’est aussi intéressé de près, pendant son séjour américain, aux méthodes des médias d’outre-Atlantique, encore très peu connues au Liban et qui le passionnent. Conscient de l’importance pour le lectorat de la présentation des articles et de l’impact des photos, il s’attelle à la formation d’équipes techniques et rédactionnelles à des systèmes tout à fait inédits. En pleine guerre civile, dans des bureaux particulièrement exposés et dans des conditions extrêmement difficiles, nous passons des nuits blanches à la lueur des bougies, souvent sous les obus, avec les journalistes et les techniciens, emballés par les nouvelles approches.
Le succès sera au rendez-vous. La revue est ainsi très vite passée des machines à plomb, des montages manuels, aux systèmes informatisés. Ce ne fut certes pas chose aisée. Mais la modernisation évoluera à un rythme accéléré et plusieurs d’entre nous, même les plus réticents aux avancées techniques, se sont mis à l’ordinateur avant d’accéder rapidement aux avantages du Net, encore étranger aux Libanais.
Mais Charles Abou Adal n’était pas au bout des difficultés inhérentes aux conjonctures difficiles, tant au Liban que dans le monde arabe. La guerre de 1975 avait pratiquement paralysé la diffusion des médias locaux et bloqué les panarabes. Avec pour seule source de financement du groupe, la vente au numéro et les revenus publicitaires, Les Editions Orientales ont dû faire face aux obstacles de la distribution d’Ousbou Al Arabi dans les pays arabes. Cette revue, à l’influence reconnue de tous, se heurtait en permanence aux pressions de tous genres dans ces pays. A la même époque, Magazine, qui assurait la couverture des événements, faisait face sur tous les fronts. La guerre ayant sapé l’économie, les recettes publicitaires ont dramatiquement chuté. Le combat des Editions Orientales n’a cependant jamais faibli.
Dès 1982, avec l’élection à la présidence de la République de Bachir Gemayel, que nous avions accompagné et soutenu depuis ses débuts, le vent d’espoir qui a soufflé, fut hélas, de courte durée. L’économie n’avait pas encore repris que le patron du groupe pensait déjà à l’avenir. Quatre ans plus tard, il obtenait une licence Marie-Claire pour éditer sous son label le féminin arabophone Nour, alors que pendant la guerre dite «d’élimination», Les Editions Orientales lançaient, en partenariat avec Les Editions Larivière, une version arabe du mensuel Défense et armement.
A l’actif de son combat pour faire des Editions Orientales un groupe de presse solide et autosuffisant financièrement, CAA crée avec l’équipe de publicité, Femme Magazine en langue française, un mensuel dont le succès ne se dément pas. Il fut suivi d’Al-Mar’a qui, hélas, fut combattu pour son ouverture et son modernisme, jugés inappropriés par les autorités de plusieurs pays arabes, à la mentalité rétrograde.
Dernier-né de la saga, le trimestriel Déco Magazine, revue appréciée de tous les amateurs de l’art de vivre.
Soucieuses d’accompagner les évolutions et les révolutions initiées par les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, Les Editions Orientales ont lancé le processus de mise en ligne de nos revues, plus particulièrement L’Hebdo Magazine et Ousbou Al Arabi.
Ainsi, la boucle est bouclée. L’avenir de la presse francophone au Liban, écrit à l’encre de la sueur, des larmes et des passions par un patron et une équipe que rien n’arrête et qui ne savent pas ce que signifie baisser les bras, ne peut être qu’encourageant. Le fameux slogan de Magazine, martelé durant toutes ces décennies, «le courage de dire, la passion de lire» ne cesse de s’imposer jour après jour. Au grand dam des censeurs et des corrompus de tous bords.
L’objectivité professionnelle et l’indépendance politique et financière ont été l’étendard du Groupe Magazine durant toutes ces années, par respect du lecteur et du métier. Ces vertus ne nous feront pas défaut dans Magazine Le Mensuel, qui vous donne rendez-vous le vendredi 7 octobre prochain.
Témoin d’un demi-siècle d’histoire à Magazine, je me retire avec le sentiment d’avoir participé à une grande aventure qui, j’en suis sûre, se poursuivra avec succès.
 

Mouna Béchara

 

La destruction de l’imprimerie
Pionnier dans l’introduction des techniques modernes, notamment dans le domaine de l’impression, le Groupe Magazine s’était doté, dès le début des années 80 du siècle dernier, d’une imprimerie rotative dernier cri, hautement performante. Le P.D.G. du groupe, Charles Abou Adal, s’était lui-même rendu en Allemagne en compagnie d’une équipe des Editions Orientales, pour choisir et tester le nouveau matériel. Cette imprimerie a fonctionné à plein rendement, même aux pires moments de la guerre. Elle a cependant été détruite lors de l’attentat qui a coûté la vie à Gebran Tuéni, le 12 décembre 2005.
La voiture piégée était placée à quelques mètres seulement des locaux de l’imprimerie du groupe, dans la région de Mkallès, à l’est de Beyrouth.
Comme tous les matins, les employés étaient rassemblés devant le portail des imprimeries, à l’extérieur du bâtiment. Quelques minutes avant la déflagration, un collègue les a invités à se joindre à lui autour du café matinal. A peine étaient-ils entrés qu’une forte explosion a retenti. Le puissant souffle de la déflagration a balayé des pans entiers du mur devant lequel se trouvaient les employés quelques instants plus tôt. Les vitres, les fenêtres et les portes des locaux ont été soufflées et l’un des employés a été blessé à la main par des éclats de verre. La rotative, endommagée par l’explosion, a subi d’importants dégâts et n’était plus opérationnelle.
Immédiatement après l’explosion, Charles Abou Adal s’est rendu sur les lieux de l’attentat pour s’enquérir de l’état de santé des employés de l’imprimerie et vérifier l’étendue des dégâts.  

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