Ogero n’était pas une administration appréciée par de nombreux Libanais. Le Premier ministre Saad Hariri a fait appel, il y a vingt mois, à Imad Kreidieh, débauché d’une société américaine basée à la Silicon Valley, pour chapeauter cette entité et lui donner un nouvel élan. Mission presque accomplie.
Imad Kreidieh est décidé à rétablir la confiance du citoyen libanais dans Ogero, bras d’exécution du ministère des Télécoms en charge de la maintenance des infrastructures télécoms au Liban. Réaliste et raisonnable, il affirme à Magazine s’être donné un délai expirant le 4 janvier 2020, date de la fin de son mandat, pour achever les 29 projets du chantier mis déjà sur les rails pour la remise sur pied d’Ogero, après avoir effectué une évaluation des actifs de cette entité. Certes, cet homme qui vient du secteur privé, a été quelque peu déçu au cours de ses vingt mois à la tête d’Ogero, par l’irrespect des fonctionnaires concernant leurs devoirs envers les citoyens. Il fait référence aux termes utilisés aux Etats-Unis pour désigner le fonctionnaire à savoir «Public servant». Celui-ci résume en deux mots sa mission, celle d’une personne dédiée au service du public citoyen. Ce qui l’a amené à suivre une méthodologie de gestion basée sur la motivation des employés et le suivi en continu. Imad Kreidieh est persuadé que l’application dans les administrations du concept de la sanction positive et de la récompense peut constituer un stimulant de taille pour les fonctionnaires. Il souhaite qu’un jour Ogero puisse fonctionner selon le modèle d’une entreprise privée, en créant une autorité de régulation du secteur qui aura à gérer tant l’aspect financier que celui du service au client. Une autorité de régulation qui existe déjà dans des pays en voie de développement, où il a déjà travaillé, tels le Soudan et le Pakistan, et où les entreprises privées s’efforcent d’être en conformité avec les requis — délais, normes internationales etc. — posés par les autorités de régulation respectives.
LibanTélécom
Dans cet esprit, il réclame l’adoption des décrets d’application de la loi 431. Celle-ci prévoit, entre autres, la création de LibanTélécom, qui remplacera Ogero, et dont une partie du capital sera ouverte au public et à un partenaire stratégique permettant un fonctionnement de la nouvelle entité sur le modèle des agents du secteur privé. Cette phase, gelée depuis la promulgation de la loi, en 2001, pourrait-elle un jour être mise en application? Imad Kreidieh se dit persuadé que l’exécution des idées stratégiques d’intérêt national ne doit jamais être limités dans le temps et dépendre de personnes spécifiques, se référant à des paroles prononcées par le général De Gaulle en 1957 sur la création de l’Union européenne.
La cybersécurité
Ogero est l’épine dorsale de l’Internet au Liban. Il est normal qu’elle soit une cible pour les hackers. D’ailleurs, les systèmes de détection identifient tous les jours cinq à six tentatives d’intrusion des installations. Or, depuis la création de l’espace virtuel mondial, devenu un moyen de communication et de connexion, le risque d’intrusion et d’espionnage est bien réel et la menace est permanente. Imad Kreidieh est conscient de cette situation et rappelle que les hackers ont pu pénétrer les données de la NASA, les serveurs de la National Security Agency (NSA), lire les courriels de Hillary Clinton et espionner dernièrement 50 millions de comptes Facebook. «Par définition, le monde virtuel connecté en temps réel 24h/24 est la cible de tentatives d’intrusion parfois par des challengers, d’autres fois par des amateurs en quête de plus d’infos ou par des auteurs de cyber rançonnage», explique le directeur général d’Ogero, avant d’ajouter: «Les problèmes de vulnérabilité du cyberespace sont universels et Ogero joue le rôle de gardien des portes du cyberespace libanais contre les intrusions en provenance de l’extérieur vers l’intérieur.» Les moyens de cybersécurité sont évolutifs et Ogero fait de son mieux pour accomplir la tâche qui lui incombe.
Comité de stratégie nationale
Néanmoins, l’enjeu de la sécurité du cyberespace est bien plus complexe. La responsabilité d’Ogero dans ce domaine est lourde puisqu’elle est d’ordre national. Le patron du bras d’exécution du ministère des Télécoms refuse de faire assumer à cette entité seule, l’entière responsabilité d’une telle tâche vu la multitude d’intérêts parfois contradictoires des joueurs sur cet espace cybernétique. Ainsi Imad Kreidieh recommande une stratégie nationale de cybersécurité qui serait endossée par un comité représentant tous les secteurs vitaux concernés par cette menace cybernétique: les forces armées (armée, FSI, Sûreté générale, services de renseignement…), les acteurs du monde économique et financier (l’Association des banques au Liban, la Banque du Liban…) et les administrations publiques.
Pour le patron d’Ogero, la cybersécurité revêt une telle importance stratégique que le prochain conflit mondial serait une guerre menée via des cyberattaques, donnant l’exemple des Etats-Unis qui ont créé une armée de cyberattaques et une autre de cybersécurité. Imad Kreidieh considère qu’il est temps de porter l’affaire de la cyberdéfense au sein du débat public. Ogero a eu recours aux services d’une compagnie américaine pour identifier les failles dans son cyberespace et a colmaté les brèches et sa vulnérabilité. Pour l’instant, les accès aux données d’Ogero sont cryptés et ne sont connus que d’une poignée de fonctionnaires en plus de l’utilisation de sniffers, qui représentent des logiciels permettant d’identifier ceux qui ont eu accès aux données, l’heure de l’accès et les données qu’ils ont traitées. De nouvelles couches de sécurité sont ajoutées en continu. Mais toutes ces démarches restent insuffisantes. La création d’un comité stratégique national de défense cybernétique est un must. Une affaire à suivre…
Expérience riche et variée
Imad Kreidieh, la cinquantaine, a fait son baptême du feu dans le monde des télécoms en 2001, lorsqu’il est désigné directeur-adjoint des opérations pour le lancement par Investcom — appartenant au groupe Mikati — de la première opération GSM en Syrie. Muté à Khartoum, au Soudan, il devient directeur général pour l’implantation de la première opération GSM dans le pays, alors qu’Investcom est racheté par la compagnie MTN (Mobile Telecoms Network Group). Plus tard, le numéro 1 d’Ogero met le cap sur le Pakistan pour rejoindre la société Warid, avant de s’installer aux Emirats arabes unis, où il travaille durant près de six ans pour le compte d’une société dont le corps de métier est le contenu digital. Là-bas, il est remarqué par une société américaine opérant à Dubaï et basée dans la Silicon Valley, spécialisée dans les compteurs intelligents pour l’électricité. Imad Kreidieh est détenteur d’un diplôme d’économie monétaire de la North Eastern University of Boston. Il a entamé sa vie professionnelle dans un business familial en Arabie saoudite avant d’intégrer le secteur bancaire libanais puis de prendre sa vitesse de croisière dans les télécoms.
Liliane Mokbel