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Nº 3051 du vendredi 29 avril 2016

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Arabie saoudite-Etats-Unis. La fin d’une relation spéciale

Les accords de Quincy qui scellèrent, en 1945, la relation entre l’Arabie saoudite et les Etats-Unis semblent bel et bien enterrés. La visite, le 20 avril dernier, de Barack Obama, à Riyad, s’est déroulée dans un climat glacial, fruit de désaccords profonds accumulés ces dernières années.

La visite, le 20 avril dernier, du président américain à Riyad signerait-elle la fin d’une époque? Venu avec l’intention de rassurer les monarchies sunnites du Golfe sur le soutien américain face au retour dans le jeu régional de l’Iran, leur ennemi traditionnel, Barack Obama n’aura pas reçu l’accueil qu’il avait sans doute espéré. Bien au contraire. Dès son arrivée sur le tarmac, le ton de son séjour a été donné. Jamais l’accueil d’un président américain en Arabie saoudite n’avait été aussi glacial. Le roi Salmane n’avait même pas fait le déplacement pour accueillir son homologue, envoyant à sa place le gouverneur de Riyad. Signe des temps, l’arrivée de Barack Obama n’a pas, non plus, été diffusée en direct sur la télévision nationale saoudienne, comme le veut pourtant l’usage lors de la visite d’un dirigeant étranger.
 

Divergence d’intérêts
Venu participer au sommet des six pays membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), le locataire de la Maison-Blanche, en fin de mandat, en aura donc été pour ses frais. Un résultat pas très surprenant au vu des tensions perceptibles depuis plusieurs années entre les deux pays, pourtant soudés par le pacte de Quincy de 1945. Pour Olivier Da Lage, journaliste à RFI et spécialiste de l’Arabie saoudite, «Le contentieux est lourd et n’a fait que s’aggraver depuis 2011, lorsque l’Administration Obama a appelé Hosni Moubarak à quitter le pouvoir». «Le roi Abdallah a été ulcéré de ce que les Saoudiens ont perçu comme le lâchage par les Etats-Unis de l’un de leurs plus anciens alliés au Moyen-Orient», ajoute-t-il. Les prises de position américaines sur les bouleversements qui ont agité les différents pays de la région ont été moyennement appréciées par le royaume wahhabite. «L’appel de Washington aux dirigeants de Bahreïn à négocier avec leur opposition chiite n’a rien arrangé et, enfin, la décision prise in extremis par Obama de ne pas bombarder la Syrie après l’utilisation d’armes chimiques a encore aggravé le contentieux», souligne Da Lage. L’accord sur le nucléaire iranien aura été la goutte d’eau qui aura fait déborder le vase. «L’accord avec l’Iran est le grief le plus sérieux, les Saoudiens et les autres monarchies du Golfe redoutant un abandon progressif de la part de Washington au profit de l’Iran», ajoute le journaliste.
Les «déclarations de Barack Obama, reproduites par la revue The Atlantic, (et) dans lesquelles il s’exprimait sans fard sur le peu de respect que lui inspirait la politique saoudienne, n’ont évidemment rien fait pour les faire changer d’avis», note-t-il encore.
La relation privilégiée, entérinée par le président Roosevelt et le roi Ibn Saoud un soir de 1945, et qui se résumait en une protection américaine du royaume en échange d’un accès aux ressources pétrolières, semble bel et bien révolue. Définitivement? Pas si sûr, selon Olivier Da Lage. Si, «les Saoudiens ont clairement tiré un trait sur les derniers mois de la présidence Obama. Riyad attend donc le prochain président pour remettre les compteurs à zéro, car l’Arabie sait pertinemment, quoi qu’en disent certains éditorialistes, qu’elle ne peut pas se passer du soutien américain pour assurer sa sécurité». Les Saoudiens attendraient-ils donc que le mandat Obama s’achève pour rabibocher leur relation privilégiée avec Washington? Peut-être, mais rien ne leur assure que le prochain locataire de la Maison-Blanche sera plus attentif à leur bon vouloir. «Trump est totalement imprévisible et donc Clinton est le moins mauvais choix pour les Saoudiens qui n’ont pas, de toute façon, leur mot à dire», estime Da Lage. Les récentes déclarations de Donald Trump ont de quoi susciter l’inquiétude de Riyad. Le probable candidat républicain à la présidentielle a déclaré, lors d’un entretien accordé au New York Times, que l’Arabie saoudite devrait davantage s’impliquer dans la lutte contre Daech, menaçant de mettre un terme à l’achat de pétrole si des troupes n’étaient pas envoyées… Alors que les journaux américains titraient sur les menaces saoudiennes en cas de publication d’un rapport sur l’implication du royaume dans l’attentat du 11 septembre, Trump, très en verve, lançait, sous forme de menace voilée: «Sans nous, l’Arabie saoudite n’existerait plus depuis bien longtemps». A cela s’ajoute un «sentiment antisaoudien (qui) monte aux Etats-Unis, notamment au Congrès, et le futur chef de l’Exécutif américain ne pourra pas l’ignorer», ajoute Da Lage.

 

Recalibrage nécessaire
Ces tensions entre Washington et Riyad s’illustrent aussi dans la divergence de stratégie dans la région. Là où Barack Obama estime que la priorité numéro 1 demeure la lutte contre les groupes jihadistes, dont l’Etat islamique, et la stabilisation des multiples conflits régionaux, le royaume wahhabite agite le danger d’une suprématie iranienne. Rappelons que dès mai 2015, alors que les négociations sur le nucléaire iranien battaient leur plein, le président américain réunissait les dirigeants du Golfe à Camp David. Sans le roi Salmane qui n’avait pas fait le déplacement. Le retour de l’Iran en tant que puissance régionale, faisant de Téhéran un acteur incontournable – notamment en Syrie, en Irak, au Yémen et au Liban – et de nouveau fréquentable, suscite les pires cauchemars à Riyad. Le royaume effectue, actuellement, un rapprochement remarqué avec la Turquie de Recep Tayyip Erdogan, son allié dans la crise syrienne. Ce dernier s’est rendu en personne à l’aéroport pour accueillir son homologue saoudien en grande pompe, lors du sommet de l’Organisation de la Conférence islamique, le 12 avril dernier. Un geste exceptionnel. «Ces deux pays sont, en tout état de cause, des alliés des Etats-Unis, mais des alliés difficiles. Là aussi, les Américains n’ont guère le choix et doivent s’adapter aux évolutions, tout en conservant une perspective de long terme», juge Da Lage.
Dans ce contexte, quel avenir peut-on prédire à la relation américano-saoudienne? L’un des anciens hommes forts du royaume, le prince Turki el-Fayçal, ex-chef du Renseignement saoudien, n’a d’ailleurs pas mâché ses mots. «Les bons vieux jours de l’alliance historique entre Washingon et Riyad sont terminés à jamais», a-t-il déclaré à CNN. La relation bilatérale devra, pour fonctionner encore, être «recalibrée», a-t-il ajouté, en soulignant: «Nous ne pouvons pas compter sur un retour aux bons vieux jours d’autrefois».
Dans ce jeu-là, il faudra aussi compter sur les nouveaux puissants du royaume. Autrement dit, les nouveaux héritiers du trône, le prince Mohammad Ben Nayef (MbN) et le fils du souverain, Mohammad Ben Salmane (MbS). Deux hommes qui constituent un maillon essentiel des relations actuelles et futures. «Les Américains ont une relation privilégiée avec le vice-prince héritier et ministre de l’Intérieur, Mohammad Ben Nayef», note Olivier Da Lage. «Mais si MbS, comme cela semble être désormais le cas, est l’homme incontournable et possiblement le prochain dirigeant saoudien, les Américains ne vont pas insulter l’avenir au nom de l’ancienneté de leurs relations avec MbN». «Mohammad Ben Salmane travaille donc intelligemment à se positionner comme l’homme de l’avenir, sans s’investir directement dans la relation saoudo-américaine plus qu’il n’est nécessaire», explique le spécialiste. «Si tout se passe bien pour lui, les choses iront d’elles-mêmes dans ce domaine aussi».
Concernant l’avenir potentiel de la relation américano-saoudienne, Olivier Da Lage ne voit «pas de grands changements». «C’est un mariage de nécessité, pas d’amour, et ce depuis le début. Disons que depuis trois ans, des deux côtés, on ne prend plus de précautions pour critiquer le partenaire indispensable», constate-t-il. «Mais justement, malgré la volonté américaine de s’investir davantage en Asie et moins au Moyen-Orient, l’abandon n’est pas une option pour Washington, quoi qu’on puisse craindre à ce sujet dans la région». Le spécialiste avance que «tourner le dos aux Saoudiens, aussi irritants soient-ils, n’est pas davantage un choix que peuvent se permettre les Américains au moment où le Moyen-Orient est plus explosif que jamais». Et de conclure: «Cette alliance de désamour est donc là pour durer».

Jenny Saleh
 

28 pages à l’odeur de soufre
Que contiennent donc les 28 pages encore classées du rapport de la commission d’enquête américaine sur le 11 septembre? Publié en 2003 et uniquement consultable par les membres du Congrès américain, ce rapport continue d’alimenter les soupçons et les rumeurs. Car les 28 pages qui restent confidentielles évoqueraient, selon certains responsables américains, le rôle trouble joué par des parties étrangères dans les attaques. Notamment l’Arabie saoudite, pays d’origine de quinze des dix-neuf pirates de l’air impliqués en 2001.
Aux Etats-Unis, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer que ce document soit enfin rendu public. D’autant que dans un reportage de l’émission 60 minutes, diffusé sur CBS, l’ancien sénateur Bob Graham, qui est aussi l’un des auteurs du rapport, n’est pas avare de déclarations embarrassantes pour Riyad. Lorsque le journaliste Steve Kroft lui demande de préciser ce qu’il entend par «un soutien saoudien» aux pirates du 11 septembre, «vous voulez dire le gouvernement… des personnes riches dans le pays … des associations de charité?», la réponse de Graham est sans appel. «Une combinaison de tout cela», lance-t-il.
Il n’en fallait pas plus aux familles des victimes du 11 septembre, déjà persuadées que Washington leur cachait des informations cruciales sur les implications de certains pays dans les attentats.
L’onde de choc a été si importante que le sénateur républicain, John Cornyn, et son alter ego démocrate, Chuck Schumer, ont proposé un projet de loi baptisé The justice against sponsors of terrorism act. Ce texte, s’il était adopté, permettrait à des citoyens américains, victimes de terrorisme, de poursuivre des gouvernements étrangers afin d’obtenir réparation.
Une telle éventualité, on s’en doute, a suscité de violentes réactions de la part de l’Arabie saoudite. Le New York Times a révélé que le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel-el-Jubeir, aurait menacé de vendre quelque 750 milliards de dollars en bons du Trésor américain et autres actifs et biens détenus aux Etats-Unis.
L’affaire, intervenue juste avant le voyage de Barack Obama en Arabie saoudite, a constitué une épine de plus dans les relations déjà tendues entre les deux pays. Poussant même le président américain à s’exprimer à ce sujet le 18 avril. Il a ainsi révélé que James Clapper, le coordonnateur du Renseignement américain, était en train de s’assurer que les documents en question ne porteraient pas atteinte aux intérêts de sécurité nationale américains. Mais au vu des conséquences géopolitiques autant que financières, que la publication de ces 28 pages pourrait avoir, il y a peu de chances que ce projet de loi soit voté.

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