Magazine Le Mensuel

Nº 2943 du vendredi 4 avril 2014

à la Une

Kataëb. L’unité dans la diversité

Que se passe-t-il au parti Kataëb? La question est posée depuis que le député Sami Gemayel a annoncé sa démission de son poste de coordinateur du comité central du parti. Les réactions sont mitigées. Est-ce une démission à retentissement politique ou une simple mesure administrative?

A Saïfi, la situation n’est pas aussi compliquée que le disent les rumeurs qui ont continué de circuler après le communiqué du député Sami Gemayel, précisant que «la démission est une décision administrative qui entre dans le cadre d’une restructuration au sein du parti». Cheikh Sami aurait en effet démissionné du parti ou de son poste de député si sa démission avait une raison politique. Ce qu’il n’a pas fait.
Le problème est que l’annonce, qui a provoqué la surprise, a coïncidé avec plus d’une décision que le parti a été appelé à prendre. Du coup, elle a été perçue comme une réponse à ces décisions. Déjà, un débat entre les membres du bureau politique avait été ouvert autour de la participation des Kataëb au gouvernement. Le choix du parti de siéger au cabinet, que ne partageait pas Sami Gemayel, a porté sur la nécessité de mener un combat pour ses principes à l’intérieur des institutions et de régler les conflits au sein du Conseil des ministres plutôt que dans la rue.
Il y eut ensuite la Déclaration ministérielle, que le parti Kataëb n’approuvait pas. Son bureau politique a tenu une réunion extraordinaire au cours de laquelle il fallait décider du maintien, ou non, au gouvernement des trois de ses ministres. Le député Sami Gemayel penchait pour la démission, alors que le chef suprême du parti, le président Amine Gemayel, était plutôt d’avis de donner une chance à la promesse du président de la République, Michel Sleiman, de traiter les problèmes qui préoccupent le parti. Après de longues heures d’échanges de points de vue, la décision est soumise au vote. La majorité appuyait la position du chef du parti, contrairement à l’avis des deux jeunes députés, Sami et Nadim Gemayel, qui se sont pliés à la décision. Sami et Nadim, qui ne sont pas toujours d’accord sur toutes les questions, étaient, cette fois, sur la même longueur d’onde.

 

Quand les médias interviennent
Pour les médias, il y avait là un sujet en or. Pour les uns, ce n’est qu’une répartition des rôles, pour les autres Sami Gemayel a perdu une manche, ce qui aurait provoqué sa démission. Pour la famille Gemayel et les phalangistes en général, l’affaire est bien plus simple. Une décision votée par la majorité des membres du bureau politique s’impose à tous. Cependant, le député Nadim Gemayel n’a pas accordé la confiance au gouvernement en n’assistant pas à la séance parlementaire qui lui était consacrée. Il y a quelques jours, à l’issue d’une réunion du bureau politique, il a reçu un blâme écrit.
Ces derniers événements peuvent-ils ébranler le parti? La démission de Sami Gemayel tirerait-elle une sonnette d’alarme?  
Contacté par Magazine, le député s’est refusé à tout commentaire, préférant garder le silence pour le moment. Il s’en tient au communiqué diffusé après sa démission, dans lequel il est précisé que «le poste qu’occupait Gemayel devrait être aboli prochainement lors du congrès général, qui sera marqué par une réorganisation de la structure du parti».
Le comité central avait vu le jour après l’assassinat du député Pierre Gemayel. Il avait pour but de consolider les relations entre les jeunes de la base et les instances dirigeantes du parti. Or, dans l’exercice de ses fonctions, Sami Gemayel constate que les prérogatives accordées au comité réduisent les attributs du secrétariat général et créent un conflit de compétences. Il suggère alors d’abolir le poste au profit du renforcement du rôle du secrétariat général. Il a également constaté que sa présence à la tête de ce poste était embarrassante pour le congrès général, qui devait trancher la question et qui se trouverait alors confronté à un dilemme difficile si le poste est occupé par le député du Metn. Sa décision avait donc pour but de faciliter les nouvelles mesures de réorganisation structurelle du parti.

 

Ce qu’en pense un ancien Kataëb
En attendant le congrès qui a été ajourné, Sami Gemayel continuera à exercer ses fonctions. Pour le bureau politique, le pays étant à l’approche d’une nouvelle élection présidentielle, le report du congrès s’imposait d’autant que les sujets internes à traiter ne revêtaient aucun caractère d’urgence.
L’ancien ministre Joseph Hachem, représentant les Kataëb dans le gouvernement sous le mandat Amine Gemayel, estime que ce qui se passe à l’intérieur du parti est une sorte de liquidation. Elle lui rappelle celle qui l’avait touché, ainsi que d’autres députés ou responsables du parti, tels l’ancien ministre et député, Edmond Rizk, et l’ancien président du parti, Mounir el-Hage, ou Rachad Salamé en vue d’assurer la succession, sujet de conflit entre Sami et Nadim Gemayel.
Le conflit discret, et parfois pl
us bruyant, entre les deux jeunes députés Gemayel perturbe l’ambiance à l’intérieur du parti. Les Kataëb ne le pensent pas. Certes, comme l’affirme le membre du bureau politique, Joseph Abou Khalil, les différends existent à l’intérieur du parti, et à plus d’un niveau, ajoutant que cela est normal dans une démocratie. «Le parti Kataëb est pratiquement le seul qui la pratique», souligne-t-il, ajoutant: «Pourquoi avoir honte de dire que des différends existent? C’est normal. Cela a toujours existé et existera toujours. Mais toutes les questions sont soumises au vote, et chacun se plie aux décisions de la majorité». Pour lui, il est tout à fait normal qu’un conflit existe entre les générations, «les anciens ne pensent pas comme les jeunes». Et qu’un autre conflit existe sur le pouvoir, et «n’est que juste ambition». «Ce genre de conflits n’existe-il pas partout? Dans les partis comme au pouvoir? Alors pourquoi en faire une histoire exceptionnelle quand il s’agit des Kataëb?»,  se demande-t-il.
La compétition entre Sami et Nadim existe comme elle existerait entre d’autres responsables du parti. C’est une ambition légitime pour chacun d’aspirer aux premiers poste
s. Cette compétition renforce le parti. Elle s’arrête toutefois aux décisions prises par le bureau politique.
 

La démocratie, la force du parti
Nadim Gemayel affirme à Magazine que le «parti Kataëb est riche par les pensées multiples qui font sa force. Il peut ainsi assimiler tout le monde. Nous formons tous ensemble un seul et même parti». Il émet, certainement, des objections ou des remarques concernant le fonctionnement interne du parti, mais refuse de parler d’un conflit avec son cousin Sami. «Je suis profondément Kataëb par la pensée et dans l’exercice. Ma vie c’est le parti. C’est l’un des plus importants du pays. J’ai des remarques à faire, certes, et j’espère qu’elles seront discutées prochainement», ajoute-t-il.  
Mais la plupart des décisions prises par le parti ne sont pas toutes dans la lignée de pensée de Nadim Gemayel. La majorité à l’intérieur du parti ne répond pas à ses aspirations. Se sent-il marginalisé ou visé? Le conflit avec Sami se précise-t-il ainsi?
«Il n’y a pas de doute que la plupart des décisions du parti sont plus compatibles avec les positions de Sami. Mais Nadim n’a aucun problème avec lui. Même s’il conteste certaines décisions de la majorité. Il y objecte mais s’y conforme», affirme le membre du bureau politique, Serge Dagher. «Il existe un problème dans la pensée démocratique au Liban. Je ne vois pas pourquoi une simple discussion au sein d’un parti doit être perçue comme un conflit. Il est plutôt normal et de l’essence même de la démocratie que des débats aient lieu avant de prendre une décision finale concernant des questions vitales. Il n’y a pas de raisons que cela suscite à chaque fois une polémique, surtout que les Kataëb constituent l’un des partis les plus institutionnels», précise-t-il.
Il n’y a pas de «centres de pouvoir» à l’intérieur du parti. Les relations personnelles entre Sami et Nadim sont excellentes. Chacun a sa manière de s’exprimer et sa méthode de traduire les principes et les constantes du parti. Mais, en fin de compte, les deux députés se conforment à la décision de la majorité.

 

Un parti de famille?
Les Kataëb sont-ils un parti de famille? La question est fortement contestée par les phalangistes. L’historique du parti prouve que chacun y trouve suffisamment sa place. Ainsi, Georges Saadé a été élu président du parti après la disparition du fondateur et la fin du mandat du vice-président, Elie Karamé. Il est réélu en 1989, 1992, 1995 et 1998, suivi de Mounir el-Hage en 1999 et Karim Pakradouni en 2001. Le parti a, certes, souffert d’une division durant cette période. C’est Pierre Amine Gemayel qui a pris les choses en main et réussi à sortir le parti de sa torpeur.
Le parti Kataëb a toujours fait la sourde oreille aux rumeurs qui le frappent de temps à autre. Il n’a jamais cherché à clarifier sa position dans les différends internes qu’on lui attribue, ou même dans un conflit entre les membres du bureau politique. Chaque débat que le parti mène sur un sujet politique déterminé est traduit dans l’opinion par conflit interne ou différends. Les sources Kataëb sont catégoriques. Les discussions sont normales comme les différences de vues. Mais aussitôt la décision prise, tout le monde s’incline, en premier le chef du parti.

Arlette Kassas

Depuis 1936
Les Phalanges libanaises ont été fondées en 1936 par Pierre Gemayel, Georges 
Naccache, Charles Hélou, Hamid Frangié remplacé par Emile Yared, et Chafic 
Nassif. Le parti Kataëb, conformément à sa constitution, défend une démocratie sociale basée sur «une liberté qui n’est pas celle des capitalistes et une égalité qui n’est pas celle des communistes». Au fil des ans, c’est devenu un parti de masse. Il a donné deux présidents de la République: Bachir Gemayel, assassiné quelques jours avant d’entamer son mandat, et Amine Gemayel.

Divergences sur une nomination
La nomination d’Elie Nassar, connu sous le pseudonyme d’«Abou Chadi» à la tête de la région de Rmeil (Achrafié) est un sujet de conflit entre les députés Sami et Nadim Gemayel. Ce dernier avait refusé cette nomination faite sans son approbation. «Abou Chadi» était un proche de Bachir Gemayel et c’est un ancien combattant. Quand il a senti que le député de la région n’agréait pas sa nomination, il a 
démissionné. La nouvelle nomination devra se faire avant le congrès général du parti.

L’organigramme
A la tête du parti siège le président, les deux postes de vice-présidents, occupés 
actuellement par le ministre Sejaan Azzi et Chaker Aoun. Interrogé par Magazine, au sujet de la démission de Sami Gemayel, Azzi a 
préféré ne pas faire de commentaire, en raison du poste qu’il occupe. Le bureau politique, composé de 26 membres, constitue le pouvoir politique suprême du parti. Le secrétariat général est un organe administratif. 

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