Au-delà des images sanglantes diffusées en continu sur les écrans cathodiques et des 8 700 personnes tuées cette année, l’Irak offre d’alléchantes opportunités pour les entrepreneurs libanais ayant le courage de s’aventurer dans cet eldorado semé de dangereuses embûches, mais aussi d’éventuelles fortunes.
Les possibilités d’investissements en Irak sont gigantesques. Sami el-Araji, directeur de la Commission nationale de l’investissement, les a évaluées à plus de 700 milliards de dollars. «Les besoins sont toutefois difficiles à estimer», relativise cependant Mohammad Chamseddine, chercheur auprès d’Information International, «mais il est certain qu’ils sont énormes dans tous les grands secteurs économiques».
Alors que l’Irak semble sombrer dans le chaos, les entreprises internationales et libanaises partent à la conquête de ce territoire à la fois risqué et séduisant. Aux côtés de Standard Chartered, Citigroup et des groupes hôteliers Starwood, Sheraton et Wyndham, les banques libanaises à l’instar de Fransabank, Byblos, BankMed, ainsi que les sociétés libanaises comme Malia Group et Empire Cinéma, se sont positionnées en force sur le marché irakien. Les investissements libanais au Kurdistan irakien représentent dix pour cent du total des investissements, dépassant ainsi les trois milliards de dollars, selon le site Iraq Business News. «Le Kurdistan sert de porte d’entrée vers le reste de l’Irak pour de nombreuses entreprises libanaises», affirme Chamseddine. Plus de cent entreprises libanaises sont enregistrées au Kurdistan, actives notamment dans les domaines de la construction, la banque, le tourisme, la restauration et l’aviation. Les cinémas Empire vont également ouvrir quatorze salles en Irak. Enfin, le groupe Robert, une compagnie libanaise, va y créer une chaîne de centres de loisirs, selon le même site. Finalement Harco, appartenant au promoteur de la famille Hariri, construit actuellement un projet immobilier de 230 millions de dollars à Irbil.
Croissance à 11%
«Nous avons tablé sur les relations commerciales triangulaires liant le Liban, l’Irak et la Turquie. De plus, l’Irak jouit d’un taux de croissance très important, de près de 11%, considéré comme le troisième à l’échelle mondiale», souligne l’économiste en chef de BankMed, le Dr Mazen Soueid.
Le Liban entretient de bons rapports avec l’Irak dont les nationaux représentent plus de 300 000 visiteurs annuellement. «Il y a plus de cinq vols quotidiens depuis Beyrouth à destination de Bassora, Bagdad et Irbil, ce qui facilite les échanges entre les deux pays», ajoute Chamseddine.
Nombreux sont les entrepreneurs libanais attirés par l’Irak, où les investissements directs étrangers connaissent une croissance importante, 37 milliards pour 2011 et 35 milliards en 2012, le rythme étant plus soutenu dans le secteur des hydrocarbures, ainsi que ceux de l’immobilier, du transport et de l’électricité.
Le développement immobilier est un secteur particulièrement intéressant pour les entreprises libanaises. Selon le Dr Saleh Mohammad el-Mutlaq, vice-Premier ministre d’Irak, «le pays a besoin de plus de deux millions de maisons ou appartements». Selon Soueid, ce secteur immobilier a connu une croissance de 31% cette année comparée à 2011.
A Irbil, une nouvelle cité surgit de terre. Construit par la société Empire World et s’étendant sur treize millions de mètres carrés, le site comprendra des douzaines de tours de plus d’une trentaine d’étages et 300 villas, pour la somme modique de 2,3 milliards de dollars.
Banques et hôtellerie
La compagnie émiratie Emaar Properties a même prévu la construction d’un casino, un projet estimé à deux milliards de dollars. «Je crois cependant qu’en raison de la saturation du marché à Irbil, il se peut que la ville subisse le même sort que Dubaï, frappée en 2007 par une bulle spéculative», souligne Mohammad Chamseddine.
La situation de l’Irak au carrefour du Moyen-Orient et ses importantes réserves de pétrole encouragent les investisseurs à s’intéresser au potentiel économique du pays. La majeure partie des investissements prévus dans le budget 2012-2014, estimés à 60 milliards de dollars, vont en effet être destinés au domaine des hydrocarbures. L’industrie pétrolière de l’Irak, qui représente environ les deux tiers du produit intérieur brut et 75% des recettes du gouvernement, a besoin d’une rénovation totale. En effet, l’Irak a déjà dépassé l’Iran pour devenir le deuxième plus grand producteur de l’Opep pour la première fois depuis la fin des années 1980. De 3,2 millions de barils produits par jour, l’Irak veut passer à la vitesse supérieure en prévoyant d’atteindre les 6 millions de barils par jour en 2017.
L’industrie du pétrole et ses dérivés ne seront pas les seuls à profiter de l’influx de devises étrangères. Les compagnies de distribution de biens de consommation vont certainement en bénéficier, ainsi que de l’expansion du marché local. Le secteur de la distribution est actuellement ralenti par le manque de capitaux nécessaires et l’absence d’expertise. C’est là qu’interviennent les acteurs libanais. Malia Group, qui opère en Irak avec plus de 1 200 employés, a connu une augmentation de ses revenus à trois chiffres durant la dernière décennie.
Pour estimer le potentiel de l’Irak dans des produits de grande distribution, il faut envisager l’économie sous son aspect humain. «Le pays est doté d’une population de 32 millions de personnes dont 67% ayant moins de trente ans, cela donne lieu à une forte demande», explique Chamseddine.
L’activité bancaire en Irak est en pleine expansion. La majeure partie des banques libanaises ont suivi leurs clients au Kurdistan et dans le reste de l’Irak. Les bénéfices nets des banques commerciales sont ainsi en hausse de 63% sur la période 2011 et 2012, alors que ceux des banques d’Etat affichaient une progression de 60%, selon le Dr Soueid.
Le secteur hôtelier n’est pas en reste. Il se construit rapidement, boosté par l’essor des autres secteurs économiques. Visant le tourisme d’affaires en premier lieu, telle la Compagnie Hotelline, qui a deux enseignes en Irak, notamment Rotana et Arjaan. D’autres, comme la famille Fawaz, ont construit plusieurs hôtels Hoda dans les villes de Najaf et Karbala, afin de répondre à la demande des pèlerins chiites de plus en plus nombreux. «Près de 12 millions de personnes pratiquent le tourisme religieux en Irak tous les ans», ajoute Chamseddine.
Au niveau du secteur agricole, d’énormes investissements sont nécessaires pour parvenir à la remise en état des terres, l’amélioration des réseaux d’irrigation et des diverses technologies se rattachant à ce secteur, négligé sous Saddam Hussein. Le Kurdistan irakien constitue la première zone agricole du pays et la modernisation de ce secteur vital est une priorité pour le gouvernement du Kurdistan qui a lancé, en 2009, un plan quinquennal de relance de son agriculture. Ces facteurs rendent les opportunités attractives dans ce domaine pour les entreprises libanaises, pouvant ainsi apporter leur expertise, tout en profitant de la fertilité des terres et des précipitations dont le niveau moyen atteint au Kurdistan 250 à 1 300 mm par an.
Conscient des nombreux défis guettant les investisseurs étrangers, le gouvernement irakien a mis en place des lois visant à améliorer le cadre légal du monde des affaires. Le gouvernement s’est ainsi chargé de la création d’un tribunal d’arbitrage à Najaf et d’un tribunal de commerce à Bagdad. «Cependant, le bon fonctionnement de ce type d’institutions varie d’une région à l’autre en raison du système fédéral en place», souligne Chamseddine. Au Kurdistan, le cadre légal est particulièrement attrayant. «Les lois en vigueur au Kurdistan permettent aux entreprises libanaises d’opérer sans avoir besoin d’un partenaire local comme c’est le cas dans le reste de l’Irak. Dans ces régions, il faut parvenir à des compromis avec son partenaire irakien, c’est normal», précise un homme d’affaires libanais qui investit en Irak.
Avec une capitalisation boursière de quatre pour cent de son PIB (représentant une capitalisation de 10 milliards de dollars sur un PIB de 210 milliards de dollars), l’Irak fait piètre figure par rapport à la majorité des pays moyen-orientaux. Mais ce faible niveau est un excellent indicateur des possibilités du pays en matière de croissance du PIB et des revenus des entreprises.
«L’économie irakienne a besoin de tout. Le potentiel est donc énorme», ajoute le Dr Soueid.
Mona Alami
Le Kurdistan
La région autonome du Kurdistan comporte trois provinces: Irbil, Souleymanieh et Dohouk.
A l’inverse du reste du pays, ces trois provinces sont beaucoup plus sécurisées. Dans cette région, les investisseurs étrangers jouissent d’un cadre légal attrayant: ils sont ainsi
exemptés de droits de douane pendant dix ans sur les équipements. Ils peuvent rapatrier des bénéfices du capital et profitent de nombreuses autres facilités. Le Kurdistan poursuit une
politique pétrolière qui lui est propre mais qui attise les dissensions avec le pouvoir central.
Le Kurdistan vise l’exportation d’un million de barils par jour en 2015 contre 150 000 en 2011. Une augmentation qui nécessitera des
investissements. Par ailleurs, le développement des infrastructures dont les aéroports d’Irbil et de Souleymanieh, de nombreuses routes
participe à l’essor des cimenteries.
Regarder vers le Sud
Mohammad Chamseddine conseille aux investisseurs libanais de s’intéresser au sud de l’Irak, qui, contrairement à Irbil, est sous-développé, mais offre des opportunités considérables de même que les villes de Najaf et Karbala, qui jouissent, elles, de recettes importantes émanant du tourisme religieux. Bien que la situation sécuritaire ne soit pas garantie et le risque de conflit demeure très élevé, les indicateurs économiques sont encourageants. Les Libanais, habitués à
travailler dans un cadre instable, peuvent très certainement apporter une contribution
importante dans de nombreux domaines.