Magazine Le Mensuel

Nº 2932 du vendredi 17 janvier 2014

LES GENS

Nicolas Cattan. Goût et saveur d’une success story

Leader sur le marché de la restauration, la réputation de Cat and Mouth n’est plus à faire. Derrière le succès de la compagnie, Nicolas Cattan, qui a su allier tradition et innovation. Un homme d’une grande discrétion qui n’aime pas parler de lui et qui croit profondément au travail d’équipe. Portrait.
 

Il ne vient pas d’une famille de restaurateurs ou de grands chefs. Bien au contraire, la famille de Nicolas Cattan travaillait dans le domaine du cinéma. Il fait d’abord, en Angleterre, des études dans les assurances. Puis le hasard a voulu qu’un ami lui parle de l’école hôtelière de Glion en Suisse et le convainc de s‎’y inscrire. «Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai travaillé un peu en France puis à Monte-Carlo. J’ai également suivi, dit Nicolas Cattan, un cycle rapide dans la gestion financière hôtelière à Cornell et je suis revenu au Liban, au début des années 80».
Au Liban, il se lance au début à Faqra. «A cette époque, Faqra comptait quatre chalets et un petit hôtel. C’est là que j’ai réalisé la grande partie de mon parcours en développant l’hôtel, les restaurants et en créant le catering de Faqra. Raymond Audi était le mentor de tout ce projet et c’est lui qui nous a inculqué le goût de la perfection», reconnaît Cattan. Le projet se développe au fil des ans. A part l’hôtel et la boîte de nuit, il compte cinq pôles de restauration qui se créent au fur et à mesure. «C’est là où on allie le côté agréable de ce métier à son côté esclavagiste», confie avec un sourire Cattan. Totalement investi dans sa tâche, il vit à l’inverse des gens. «Quand les gens s’amusent, nous travaillons et lorsqu’ils se reposent, nous suivons le back office. Ce travail empiète forcément sur la vie de famille». Parmi les aspects agréables, Nicolas Cattan souligne les amitiés qui se créent en côtoyant les gens. «On apprend à mieux connaître les personnes. On est avec eux dans leurs joies et dans leurs peines. Dans ce temps-là, Faqra était un refuge pour beaucoup de familles, une sorte de terre d’accueil. Nous n’avons jamais profité de la situation. Nous vivions presque en osmose avec les gens». Grâce au label de qualité, Faqra devient membre de la chaîne Relais et Châteaux.
 

Leader dans la restauration
Avec le succès grandissant de Faqra, la compagnie sent le besoin d’avoir pignon sur rue à Beyrouth. «C’est ainsi que furent créés Sofil et Sofil Catering avec deux restaurants». Au départ, Sofil Catering était conçue pour la restauration d’un maximum de 300 personnes. «Après la première invitation, nous sommes passés à 600 personnes et Sofil Catering a pris son envol».
Après une vingtaine d’années de «bons et loyaux services», Cattan cherche à s’installer à son propre compte et à voler de ses propres ailes. Il fonde alors Cat and Mouth. «Nous avons démarré avec de petits moyens mais forts de l’expérience acquise». La société adopte pour label la qualité, l’authenticité, la créativité et l’honnêteté. Elle devient très vite leader dans la restauration. Pour son fondateur, le succès est dû à un travail d’équipe et à une répartition des tâches entre les différents membres de l’entreprise. «Chacun, dit-il, essaie à sa manière d’être créatif et nous nous faisons assister par des experts internationaux dans tous les domaines et à tous les niveaux: dans la gastronomie salée ou sucrée, du côté artistique tel que l’art de la table ou le côté technique, comme les équipements et le matériel». Le produit importé est ensuite adapté au besoin du marché local que ce soit au niveau visuel ou gustatif. «Nous travaillons sur la personnalisation et c’est là que nous avons une longueur d’avance sur les autres», indique Nicolas Cattan. Sans être lui-même cuisinier, Cattan apprécie la bonne chère. «J’aime manger et festoyer sans être pour autant expert culinaire. Je reconnais les goûts et les saveurs et, comme on dit, à force de forger on devient forgeron. J’aime le côté convivial de la gastronomie qui réunit autour d’elle les gens. Je suis de près les nouveaux produits et je suis attiré par l’aspect créatif et innovant de la gastronomie».
En perpétuelle évolution, toujours à la recherche de nouvelles idées, l’équipe de Cat and Mouth voyage beaucoup et participe à des séminaires. «Nous essayons de suivre sans cesse les nouvelles tendances et nous adaptons le produit aux besoins du pays et de la clientèle». L’activité de Cat and Mouth ne se limite plus au Liban et s’étend à d’autres pays dans la région tels que le Qatar, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et la Turquie. «En nous adaptant au goût de ces pays, nous avons réussi à percer sur ces marchés, ce qui nous apporte un brin d’oxygène vu que la majeure activité au Liban est saisonnière. Nous avons appris à comprendre et à respecter les goûts et les coutumes des personnes avec lesquelles nous traitons et auxquelles nous proposons tel ou tel produit. Nous apportons notre touche en faisant fusionner l’Orient et l’Occident».
L’entreprise compte plusieurs aspects: une petite cuisine semi-industrielle qui fournit les écoles, les universités, les cafétérias et autres… en produits Cat and Mouth. «Le but de cette activité est de faire tourner la compagnie tout au long de l’année». Nous avons également une activité saisonnière qui est le catering des mariages et des grandes réceptions, qui ont généralement lieu en été. «Nous ne badinons jamais sur la qualité. Elle est toujours la même».
Dans un pays qui subit les aléas de l’insécurité, il est difficile de faire des prévisions à long terme. «Nous essayons de nous exporter pour balancer entre l’incertitude et le côté dents de scie du marché local». Sur un autre plan, aucun contrôle n’est fait sur les entreprises qui s’installent sur le marché, alors que certaines peuvent nuire à la réputation et à l’image de la restauration au Liban. Le souci de la qualité a poussé Cat and Mouth à obtenir la certification ISO. «Nous sommes en même temps des cuisiniers et des industriels et ceci représente une charge énorme». Pour Nicolas Cattan, d’autres difficultés sont liées au recrutement d’un personnel qualifié. La  plupart des diplômés partent aussitôt travailler à l’étranger.
Malgré sa longue expérience dans le domaine, Nicolas Cattan ne cache pas qu’il continue à avoir le trac avant chaque réception importante. «Je me demande toujours si la nourriture suffira, s’il manquera quelque chose. C’est pourquoi nous péchons par excès et nous offrons toujours au client plus que ce que nous avions convenu avec lui». Il est toujours sur le lieu de la réception, avec ses collaborateurs, pour s’assurer de la bonne marche des choses. «C’est aussi notre manière de sécuriser le client et d’établir cette relation de confiance entre nous». Pour lui, la gastronomie c’est avant tout de la générosité. «Si on n’est pas généreux à la base, on n’est pas un véritable gastronome».
Infatigable travailleur, Nicolas Cattan reconnaît que sa vie familiale s’en est ressentie. «J’aurais aimé donner plus de temps à ma famille et être plus présent, mais on ne réalise cela que bien trop tard». Passionné d’espaces et de grand air, il fut un grand sportif. «Mais avec le temps, les soucis ont augmenté et les loisirs se sont réduits». Marié et père de trois enfants, il ne les a jamais poussés à suivre sa voie. «Si on ne l’aime pas, ce métier peut être un véritable calvaire». Son fils Stéphane travaille dans l’industrie du cinéma, Michèle, diplômée en Business Administration, travaille dans la compagnie en attendant de faire son master et Marc termine sa dernière année à l’école hôtelière de Lausanne. «Je voudrais que mes enfants travaillent ailleurs et profitent de l’expérience des autres afin que le jour où ils reprendront l’entreprise, ils aient une nouvelle vision des choses, différente de celle que nous avons actuellement». En déléguant à ses collaborateurs, Nicolas Cattan a créé une institution qui n’est pas forcément rattachée à sa personne. «Que je sois présent ou non, rien ne change».

Joëlle Seif
Photos Milad Ayoub-DR

Les hommes, de meilleurs chefs?
On dit que généralement les hommes sont de meilleurs chefs culinaires que les femmes. Selon Nicolas Cattan, c’est un métier pour femmes car celles-ci sont plus méticuleuses que les hommes. «Toutefois, c’est un métier difficile. Un homme est mieux armé qu’une femme pour le faire. Mais ce sont les femmes qui sont les mentors de ces hommes et ce sont elles qui deviennent pour eux une sorte de valeur ajoutée». Il estime que l’homme est plus libre que la femme pour se consacrer à ce métier, alors que celle-ci a des 
responsabilités qu’elle seule peut assumer. «Je préfère de loin le travail des femmes à celui des hommes», dit-il.  

Une cuisine en pleine évolution
Importée des différents pays qui nous entourent, la cuisine libanaise est une cuisine qui n’a pas cessé d’évoluer tout en gardant son authenticité. «Le Liban était un pays pauvre et montagneux qui a subi l’influence de l’occupation ottomane. Les émigrés ont rapporté des saveurs des quatre coins du monde qu’ils ont essayé d’adapter à leurs goûts. Nous avons une cuisine de saveur méditerranéenne. Au Liban, nous mangeons différemment selon les régions; et les appellations varient d’un endroit à l’autre. Il existe une fusion entre les mets libanais et internationaux. Ce mélange de saveurs crée de nouveaux plats et c’est là qu’interviennent la créativité et l’ouverture de la cuisine 
libanaise sur les cuisines du monde». Il existe également de nouvelles techniques qui ont révolutionné la cuisine libanaise telles que le four à vapeur. «La conception est la même mais la façon de faire est différente».

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