Le festival Al Bustan vient de démarrer pour s’étaler jusqu’au 23 mars. Pour sa première semaine de programmation, trois soirées, deux concerts et deux invités: le bandonéoniste Mario Stefano Pietrodarchi et la violoniste Alexandra Soumm.
UN PREMIER CONCERT MAGISTRAL
Dès les premiers soirs, les 18 et 20 février, nous voilà plongés au cœur du thème de cette 21e édition du festival Al Bustan, Nature et musique, avec un programme bien dosé pour une injection plus que nécessaire d’allégresse, de légèreté et de lyrisme. Entré de plain-pied au cœur de la nature, sous la direction de Gianluca Marcianò, l’orchestre symphonique et opératique de l’Etat de Tbilissi fait résonner dans la salle de l’auditorium Emile Bustani l’air d’Antonin Dvořák, In Nature’srealm op. 91. qui fait partie de sa trilogie Nature, vie, amour. Une pièce brillante, lyrique, lumineuse où les notes sont autant de sonorités puisées de la nature et enrobées d’un lyrisme romantique pur.
Entre une composition de Dvořák et une autre, place à une musique plus légère, plus joviale, plus facile. Des extraits Nino Rota, Roberto Molinelli et Ennio Morricone, avec Mario Stefano Pietrodarchi. Armé de son accordéon et de son bandonéon, de son sourire et de ses émotions, le plaisir qu’il avait d’être sur scène était plus que perceptible, contagieux. Une vague de chaleur et d’allégresse a enveloppé la salle à chaque note. Au rythme de la musique de Pietrodarchi, ce soir-là, «la vita è bella».
Après l’entracte, l’audience retrouve Dvořák mais, cette fois, sur un autre ton. La Symphonie du Nouveau Monde, No9, op.95, sa 1ère œuvre. Une composition magistrale et majestueuse, qui ne manque pas de violence et de puissance, et en même temps de tranquillité et de sérénité. Une composition à rebondissement, brillamment menée par maestro Marcianò, qui ne tombe jamais dans le surplus des effets impressionnistes… La subtilité des thèmes et des couleurs déployés, la force suggestive de cette œuvre et la flopée d’émotions intenses qu’elle engendre clôturent la soirée sur une note d’enchantement.
Entre mélancolie et force
L’orchestre symphonique et opératique de l’Etat de Tbilissi entame la soirée du 22 février, sous la houlette du maestro Gianluca Marcianò avec l’ouverture des Hébridesop.26 de Felix Mendelssohn. Entre l’évocation magistrale du mystère de cet antre de la nature, le calme de la mer et ses houlements violents, résonnent des phrases musicales où s’emmêlent romantisme et impressionnisme.
Et voilà ce moment imprégné d’expectative où la jeune violoniste Alexandra Soumm enjambe la scène pour offrir un morceau de Ludwig van Beethoven, le concerto pour violon en D majeur op.61 en ses trois mouvements, allegro ma non troppo, larghetto et rondo allegro. C’est qu’on attendait impatiemment cet interlude, et pour la puissance magistrale inégalable de Beethoven et pour la promesse du jeu d’Alexandra Soumm. Présence frêle et imposante, celle-ci se prépare à embrasser son violon, habitée par ces inextricables sensations de respect, d’enthousiasme, d’anticipation et d’excitation… Dense et sereine, la composition de Beethoven surprend autant qu’elle apaise, laissant Alexandra Soumm explorer et faire éclater sa virtuosité subtile, sa technique maîtrisée qui emprunte tout autant à la poésie, au lyrisme, à l’introspection et à la joie. Véritable exercice de style, l’archet semble tour à tour caresser les cordes du violon et les pousser dans leur ultime retranchement pour faire naître dans l’audience cette sensation immanente des contraires qui s’attirent. Applaudissements à tout rompre, Soumm revient pour son «encore» avec un morceau d’Isaÿe et un autre de Bach qu’elle dédie à l’Ukraine et au Venezuela, «à ceux qui se battent tout simplement pour leurs droits humains».
Après l’entracte, changement d’ambiance avec Piotr Illitch Tchaïkovski et sa symphonie no1 en G mineur, op.13, intitulée Rêves d’hiver. Une première œuvre dont il dira: «Même si d’une certaine manière elle est immature, elle a fondamentalement toutefois plus de substance et est meilleure que plusieurs de mes travaux plus récents». Et Rêves d’hiver se décline au bout de la baguette de Marcianò pour redonner corps aux paysages enneigés de Moscou, à la mélancolie et aux batailles intérieures du compositeur. Trombone, tuba, cors, cymbale, timbale, flûtes clarinette, violon, violoncelle et contrebasse, les instruments entrent en transe, pour une finale en apothéose, un chaos où chaque élément semble se lancer dans une poursuite furieuse et jubilatoire avant de retrouver sa place.
Nayla Rached