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Paul Khalifeh

Des mots et des risques

Lors de sa dernière intervention télévisée, essentiellement consacrée à la guerre du Yémen, le secrétaire général du Hezbollah, généralement très à l’aise et sûr de lui, est apparu nerveux, remuant. Pour la première fois, il s’en est directement pris à la famille royale saoudienne, qu’il a accablée de tous les maux, nommant des princes et des responsables, stigmatisant leurs prises de position et dénonçant leurs agissements.
Le discours de sayyed Nasrallah contre l’Arabie saoudite est allé crescendo. Il y a quelques mois, il se contentait de vagues allusions, sans nommer l’Arabie saoudite directement. Plus tard, il plaisantait en révélant les «premières lettres» du nom de ce pays. Ensuite, il n’a plus hésité à citer nommément le royaume pour critiquer sa politique dans des termes sévères. Enfin, lors de sa dernière intervention, il a personnalisé le débat, en fustigeant la dynastie des «Saoud».
De leur côté, les dirigeants et les médias saoudiens ont abandonné, depuis longtemps, le langage diplomatique et les gants de velours en parlant du Hezbollah, qualifié de «parti de l’Iran», parfois même de «parti du diable». Cependant, eux n’ont rien à perdre, alors que sayyed Nasrallah risque gros en haussant le ton.
En effet, les critiques contre les dirigeants saoudiens ont un impact direct sur le Liban parce qu’elles exacerbent les tensions internes et approfondissent les divisions entre les différents partenaires politiques, regroupés au sein d’un même gouvernement au nom de la sacro-sainte stabilité du pays. D’ailleurs, les craintes ont plané sur la cohésion de l’Exécutif après les propos du leader du Hezbollah et le discours, au sommet arabe du Caire, du Premier ministre Tammam Salam, jugé «déséquilibré» par les milieux du parti. Mais le pragmatisme l’a emporté sur les considérations idéologiques, et les ministres du Hezbollah se sont abstenus de toute escalade à la dernière réunion du Conseil des ministres, mercredi, faisant primer la stabilité du cabinet sur leurs objections au sujet de la teneur du discours de M. Salam, d’autant que le Premier ministre avait clairement laissé entendre qu’il suspendrait ad vitam aeternam les réunions du Conseil des ministres si les ministres du Hezbollah lui demandaient des comptes. Autre signe positif, la poursuite du dialogue entre le Hezbollah et le Courant du futur, malgré la tension provoquée par les positions inconciliables sur la guerre du Yémen, les deux partis se trouvant dans des camps opposés.
Le plus gros risque pris par sayyed Nasrallah concerne le danger qu’il fait planer sur le sort de milliers de Libanais travaillant dans le Golfe, et qui injectent tous les ans dans l’économie libanaise des milliards de dollars. A chaque intervention du leader du Hezbollah, ces Libanais, surtout ceux qui éprouvent de la sympathie pour le parti, doivent retenir leur souffle. Ils craignent en effet de faire les frais de l’emportement de sayyed Nasrallah. Et même si certains partagent parfaitement son opinion, ils en redoutent les conséquences et préfèrent qu’il fasse preuve de retenue. D’ailleurs, le chef du Hezbollah est parfaitement conscient de ces faits et a déclaré, lors de son intervention, qu’il connaissait les répercussions que peuvent avoir ses propos. N’aurait-il pas été plus sage qu’il modère son discours afin de ne pas assumer la responsabilité de la perte par des familles libanaises installées dans le Golfe du labeur de toute une vie?
L’évolution du discours de sayyed Nasrallah est un signe que la confrontation entre l’Iran et l’Arabie saoudite se durcit. Si elle devait s’aggraver, les Libanais suivront-ils cette tendance? Si tel était le cas, les coussins de sécurité qui empêchent la déstabilisation du pays ne tiendront pas longtemps.

Paul Khalifeh

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