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Nº 3038 du vendredi 29 janvier 2016

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Le Hezbollah en Syrie. La base du parti se pose des questions

L’intervention de l’aviation russe a permis la progression des forces loyales au régime du président Bachar el-Assad et des brigades du Hezbollah, devenu acteur de premier plan dans la guerre en Syrie. Que pense la base populaire du parti au Liban, alors que le nombre de combattants morts en Syrie augmente de jour en jour? Quelles sont les motivations des jeunes qui ont rejoint les rangs du Hezbollah? Magazine enquête.

«J’ai rejoint le Hezbollah pour faire le jihad en Syrie. Le jihad est le devoir de tout musulman, il permettra mon salut dans l’au-delà», explique Abou Ali Karbal, un jeune combattant affilié au parti de Dieu, utilisant son pseudonyme (tous les noms ont été changés dans cet article dans le but de préserver l’anonymat des personnes interviewées).
Abou Ali est un jeune parmi tant d’autres ayant rejoint la route du jihad en Syrie. Son âge le distingue toutefois de ses frères d’armes: il s’est engagé dans l’organisation à 16 ans. «J ai effectué trois formations: une première de nature religieuse et deux autres pour m’entraîner au maniement des armes et aux techniques de combat en Syrie», précise le jeune homme.
L’entourage d’Abou Ali a des avis partagés en ce qui concerne l’implication de la jeunesse chiite en Syrie.  

Une question de survie
«J’appuie l’action du Hezbollah dans le cadre de la région frontalière syro-libanaise. Le parti a réussi à sécuriser les frontières du Liban. Mais les répercussions de la guerre sur les Libanais, les chiites en particulier, sont très certainement négatives. Nous gardons en mémoire les sacrifices consentis lors des combats aux côtés des Palestiniens et maintenant aux côtés des Syriens. Le prix du sang est trop élevé», explique Manale, une éducatrice résidant dans la région de Baalbeck.
Une opinion que partage Walid. Ce trentenaire, père de famille, admet que l’action du Hezbollah a permis de sécuriser la Békaa. «Il n’y a plus d’explosions, les jihadistes n’ont plus la capacité de nous cibler et, dans le secteur, il n’y a plus de bombardements, qui étaient devenus coutumiers ces deux dernières années. Le Hezbollah a raison de se déployer à la frontière, mais je ne vois pas pourquoi nos jeunes − et il y en a des centaines dans la Békaa, chaque village ayant au moins un ou deux martyrs − devraient aller mourir afin de protéger le président Bachar el-Assad», ajoute-t-il.
Cependant, la majorité des partisans du Hezbollah, comme Abou Raghid, estiment que le parti n’avait pas d’autre choix que de combattre. «C’était pour le parti une question de survie. De plus, je ne crois pas que son implication en Syrie ait exacerbé les tensions au Liban où les clivages étaient déjà profonds. Au contraire, je suis d’avis que le Hezbollah est sorti renforcé par la guerre en Syrie. Vous verrez, il va très prochainement gouverner le Liban, avec une nouvelle répartition des pouvoirs entre chiites, chrétiens et sunnites», professe Abou Raghid, un habitant de la Békaa qui enseigne dans une université à Beyrouth.
Abou Raghid apporte un appui indéfectible au parti de Dieu, et on retrouve la même cohésion chez les personnes originaires du Liban-Sud et habitant la banlieue sud de Beyrouth. Ces dernières expriment le sentiment de sécurité que leur procure le Hezbollah, que ce soit face aux ambitions israéliennes ou aux exactions des mouvances radicales comme l’Etat islamique (EI). Ce groupe a commis de nombreux assassinats et kidnappings en Syrie, le dernier étant le meurtre de plusieurs centaines de personnes dans la localité de Bagheiliyya, près de Deir Ezzor. Au moins 400 civils de confession musulmane sunnite, parmi lesquels figurent des femmes, des enfants et des membres de familles de combattants pro-régime, auraient été enlevés par Daech. Le groupe jihadiste les aurait kidnappés après avoir tué près d’une centaine de personnes, la plupart exécutées, selon les informations recueillies par l’Observatoire syrien des droits de l’homme.
«La révolution syrienne a beau avoir commencé de manière pacifique, ce sont les radicaux comme Daech et le Front al-Nosra (affilié à al-Qaïda) qui, aujourd’hui, dominent le paysage rebelle syrien. Le Hezbollah a prouvé qu’il était le meilleur garant contre ce danger. La guerre est devenue confessionnelle, et moi qui suis chiite, c’est le Hezbollah qui va me protéger», assure Imad, un coiffeur, originaire du Liban-Sud et travaillant à Beyrouth.
Pour Rana, esthéticienne originaire du Sud, résidant dans la banlieue sud de Beyrouth, ce sentiment de sécurité est inhérent à l’aptitude au combat du Hezbollah contre Israël. «Je suis originaire d’un village près de la frontière avec Israël. En 2006, le Hezbollah m’a protégée, Israël n’a pas pu occuper le Sud. Le parti a également mis un terme aux explosions et aux attentats à la voiture piégée perpétrés par les terroristes, je lui fais confiance», précise-t-elle.
 

Nouveaux riches
Malgré ses exploits sécuritaires, le Hezbollah n’est pas à l’abri des critiques. Les diverses personnes interviewées par Magazine établissant une distinction entre la performance militaire et l’action politique du parti.
Certains habitants de la Békaa accusent les membres du parti de corruption, notamment en lien avec la guerre en Syrie. «De nombreux membres du Hezbollah ont gagné de l’argent sur le dos des dépenses du parti en Syrie. Surtout ceux qui se sont occupés de l’alimentation des générateurs électriques dans les zones de combat», avance Walid.
D’autres, comme Manale, se plaignent de la situation économique. «Le parti n’a rien offert aux habitants de la Békaa, notre situation est tout aussi déplorable qu’auparavant et les choses ne font qu’empirer. Nous ne voyons que rarement nos députés. Nous allons certainement payer le prix de la montée des tensions communautaires», ajoute la jeune femme.
Des commentaires qui trouvent un écho au sein de la base populaire du parti à Beyrouth. Imad estime que, malgré son soutien au Hezbollah, il ne peut rester indifférent aux positions en flèche adoptées par les députés du parti, qui enveniment les relations avec d’autres pays notamment arabes.
«Je fais confiance à sayyed Hassan (Nasrallah, le chef du parti), mais les députés du Hezbollah ne font pas preuve de flexibilité en politique. Je trouve que Nabih Berry (le chef du Parlement) se montre plus intelligent, il est conciliant, et nous avons besoin de ce type d’approche au Liban. Nous sommes arabes après tout et nous ne pouvons pas défier tous les autres pays en nous cantonnant à notre alliance avec l’Iran».

Mona Alami 

De lourdes pertes en Syrie
En octobre dernier, le journal al-Charq el-awsat a rapporté que le coût humain et moral de l’implication du Hezbollah dans la guerre civile syrienne, au cours des quatre dernières années, était devenu extrêmement élevé. Des sources anonymes ont révélé au quotidien saoudien que le nombre de morts du Hezb en Syrie s’élevait à 1 263, dont la plupart auraient appartenu aux forces d’élite. Les forces du Hezbollah sont activement engagées dans un certain nombre d’offensives lancées récemment par l’armée syrienne, les Gardiens de la Révolution iraniens et des milices chiites contre les positions tenues par les rebelles dans les diverses régions du pays, soutenus par l’aviation russe.

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