Magazine Le Mensuel

Nº 3080 du vendredi 4 août 2017

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Fadlo R. Khuri. Polyvalence humanisme et résistance

Imperturbable et réfléchi, c’est ainsi que l’on peut qualifier Fadlo R. Khuri, le premier Libanais à présider l’Université américaine de Beyrouth (AUB), depuis 150 ans.   

Pour cet oncologue de 53 ans, père de trois enfants, être en charge de l’AUB revêt une portée symbolique. Issu d’une grande lignée d’anciens de l’Université américaine de Beyrouth, Fadlo R. Khuri considère que sa prise de fonctions en mars 2015 constitue d’abord un retour aux racines. Son père, Raja Khuri, était doyen de la faculté de médecine de l’AUB, et il a lui-même longtemps vécu à Ras Beyrouth, où il dispose toujours d’un appartement hérité de sa mère.
Membre du Conseil d’administration de l’AUB, Fadlo Khuri est témoin des difficultés, surtout financières, auxquelles est confrontée l’université. Malgré le déficit budgétaire, l’AUB a réussi à  maintenir son niveau académique au top. Il est même en nette progression depuis le mandat de John Waterbury (président de 1998 à 2008). On ne peut pas nier d’ailleurs la charge de travail des enseignants qui, en plus de leurs responsabilités pédagogiques classiques, se doivent de parfaire leurs domaines de recherche. D’où la nécessité impérieuse d’augmenter les salaires des employés.
Incapable de se montrer indifférent face à une telle situation, c’est aux côtés de 156 candidats que Khuri se présente pour le poste de président de l’AUB. Parmi les 12 personnes retenues et interviewées, trois sont «mises en compétition». Aujourd’hui, c’est Fadlo R. Khuri qui est à la tête de cette grande institution, considérée comme le premier employeur local après l’Etat libanais. A la question de savoir si c’est sa nationalité libanaise qui a poussé le jury à le choisir pour permettre le redressement de l’AUB, Khuri répond que les Américains qui ont présidé le campus sont tous passés par une période qu’il qualifie de «lune de miel». Leur manque d’expérience concernant le pays du Cèdre et la région a fait que leurs erreurs leur ont été facilement pardonnées. «Lorsque j’ai été élu, je savais que j’allais être évalué sur la base de mes décisions et que cette période de grâce ne me serait pas accordée », confie-t-il. «Je suis né aux Etats-Unis et j’y ai vécu pendant 33 ans, mais j’ai grandi au Liban. L’AUB, je la connais par cœur. La civilisation américaine, je m’en suis abreuvé et le système libanais je l’ai assimilé. C’est donc en tant que Libanais et en tant qu’Américain que je serai jugé», confirme-t-il avec beaucoup d’assurance.

Transparence et efficacité
Depuis 2015, Khuri s’est fixé pour feuille de route de sortir, d’abord, l’université de sa crise. «L’AUB est le meilleur établissement d’enseignement supérieur du Moyen-Orient, mais les frais universitaires onéreux constituent un fardeau pour les familles libanaises», affirme-t-il. « L’ancienne direction a adopté une augmentation du prix du crédit de 8 à 9% par an. Pour faire face, nous avons pris la décision de réduire ce pourcentage à 3%, de renforcer les aides sociales et d’assurer à nos étudiants des prêts simples avec des intérêts minimes», assure l’actuel président, soucieux de permettre au plus grand nombre de jeunes d’accéder aux formations dispensées par l’AUB.
Ses projets à court terme? Faire preuve de transparence, de compétence et d’efficacité pour gagner la confiance du public de l’AUB, mettre fin à la crise financière en gérant de façon modérée le budget annuel et signer un accord avec le syndicat des employés de l’université. Pour relever les défis de l’avenir, M. Khuri estime qu’il est impératif d’investir davantage dans la recherche. «Si vous croyez en quelque chose, il faut investir», insiste-t-il. «Je crois en l’université. C’est la raison pour laquelle nous avons doublé le budget consacré à la recherche, dans le but de servir une société qui n’a plus foi en son gouvernement». Sa stratégie pour faire de l’AUB une institution régie par ses performances académiques, économiques, sociales et environnementales, est axée sur 3 éléments essentiels. Attirer les étudiants, leur fournir un enseignement de qualité et éviter toute discrimination raciale, sociale et culturelle.
Pour Fadlo Khuri, «rien n’est facile à obtenir ou à réaliser. Ce sont les choses qui en valent le plus la peine qui sont les plus éprouvantes. L’AUB est, pour moi, ce qu’il y a de plus important». L’Université américaine de Beyrouth a, d’après lui, joué un rôle crucial dans la «transformation» du Liban et du monde arabe. L’Histoire parle d’elle-même: neuf Jordaniens, tous des anciens de l’AUB, ont occupé les fonctions de Premier ministre dans leur pays. Plus encore, Ismaïl al-Azhari, ancien chef de l’Etat soudanais (en 1965), Ashraf Ghani, l’actuel président de l’Afghanistan, Adnan Pachachi, ancien diplomate et ministre des Affaires étrangères irakien ainsi que de nombreuses autres personnalités ont tous été diplômés de l’AUB. «C’est donc à partir d’une «petite» université qui a vu le jour il y a 150 ans qu’ont émergé des figures reconnues internationalement et qui ont eu un impact crucial sur la conjoncture socio-politico-économique du monde entier», assure Khuri.

Un Janus omniprésent
Propulsé à la tête de l’AUB ou de l’AUBMC (American University of Beirut Medical Center), Fadlo Khuri pilote ces deux institutions selon des approches différentes, académique et médicale. Oncologue de formation, Dr Khuri a longtemps conduit et mené, aux Etats-Unis, des programmes de recherche ainsi que des programmes de formation. Ses multiples expériences professionnelles en tant qu’ancien directeur adjoint du Winship Cancer Institute de l’université d’Emory, ainsi que président du conseil d’administration du Département d’hématologie et d’oncologie de l’Ecole de médecine de l’université d’Emory, entre autres, lui permettent aujourd’hui de diriger solidement les deux structures. Ayant géré, des années durant, un budget dépassant les 50 millions de dollars aux Etats-Unis, il n’est pas étonnant que Dr Khuri ait réussi à sortir l’AUB de l’ornière financière dans laquelle elle se trouvait. «J’estime détenir les compétences requises pour exécuter et mener à bien cette double fonction. Règlementer le médical et administrer l’académique sont complémentaires», atteste Fadlo Khuri.
Fasciné par la science moderne et par tout ce qui relève du fonctionnement des cellules du corps humain, c’est en 1980 que Fadlo R. Khuri s’intéresse à l’impact de la biologie cellulaire sur des domaines relevant de la psychiatrie, des neurosciences et de la cancérologie. Rédacteur en chef du journal Cancer, publié deux fois par semaine par l’American Cancer Society aux Etats-Unis, Fadlo Khuri traite surtout de la recherche clinique et de l’expertise en matière de développement moléculaire, de pronostics et d’approches thérapeutiques et de chimioprévention, pour l’amélioration du traitement des patients souffrant de cancer.
Le cumul de tant de responsabilités poussent à se demander comment l’homme parvient à «régir» tous ces «casquettes». Khuri est un «24 hour-man», qui se suffit de cinq heures de sommeil par jour et consacre une grande partie de son temps à son épouse Lamya Tannous-Khuri, spécialisée en nutrition à l’AUB, ainsi qu’à ses trois enfants Layla, Raja et Rayya.

L’AUB en chiffres
● Avant 1974, l’AUB comptait 55% d’étudiants non Libanais. Aujourd’hui, le pourcentage est tombé à 21%.
● D’après le QS Ranking, l’AUB se classe au 3e rang, derrière deux universités saoudiennes.
● Le nombre d’étudiants à l’AUB s’élève à 8 750.
● L’AUB assure plus de 130 programmes diplômants.

Pour l’innovation intellectuelle
C’est dans son vaste bureau sobre et dégagé, entre deux rendez-vous, que la question des fondements de sa pensée est abordée. «Je crois fortement en l’esprit libéral, parce qu’à mon avis, les idées et les initiatives les plus brillantes émergent de l’être éduqué, bien informé, ouvert à toute discussion et assoiffé de recherche», certifie Khuri. «Je considère qu’être fermé d’esprit ne peut que limiter tout potentiel. C’est ici que réside aussi le secret de l’AUB, qui vise à former les meilleurs scientifiques et les meilleurs penseurs libéraux, en les poussant à croire en eux-mêmes et à toujours vouloir s’instruire. L’un de nos principaux objectifs consiste à apprendre aux Libanais et aux Arabes à créer des opportunités pour une existence plus productive», poursuit-il.
La pression politique de la scène libanaise? Fadlo Khuri ne la craint pas. «Les responsables politiques savent que la stabilité économique du Liban dépend de celle de l’AUB. Nous agissons avec beaucoup de transparence et nous assumons nos choix», assure-t-il. Intransigeant en affaires, Fadlo R. Khuri demeure toutefois un grand humaniste, à la recherche d’échanges intellectuels avec des personnalités de tous bords. C’est d’ailleurs pour cela qu’un partenariat avec l’Université saint-Joseph de Beyrouth, que Khuri considère comme l’une des seules universités prestigieuses du Liban, est en cours de préparation. Le président de l’AUB prévoit aussi de nombreux projets avec une université jordanienne fondée par une princesse jordanienne.

Natasha Metni

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