Magazine Le Mensuel

Nº 2875 du vendredi 14 décembre 2012

Semaine politique

Tripoli. Le calme avant la bataille finale?

Après une semaine de combats acharnés, les armes se sont soudain tues depuis lundi à Tripoli. Le plan de sécurisation de l’armée, déployée dans les zones stratégiques, et les contacts politiques ont fait leur œuvre. Mais les riverains craignent que le cessez-le-feu du moment ne soit le prélude à la bataille finale.

Après le 14e round de violences à Tripoli, tout est revenu à la normale, comme si rien ne s’était passé. Dans la soirée de dimanche, les Tripolitains ont pu dormir sur leurs deux oreilles. Pour la première fois depuis une dizaine de jours, la nuit n’a pas été émaillée par des rafales de mitraillettes ou des tirs de roquettes. Qu’importent les raisons de la trêve, le principal est qu’elle soit effective, qu’elle permette aux habitants de souffler. Les tirs ont cessé, les combattants se sont retirés, les soldats de l’Armée libanaise se sont déployés en force et ont installé des barrages sur tous les points chauds. Les commerces ont rouvert mais les rues sont quasiment désertes. Les embouteillages, qui ont été signalés dans les artères principales, ne trompent pas. Nombreux sont ceux qui ont décidé de quitter la ville pour se réfugier dans des zones plus sûres. Car ils ne sont pas dupes. Ils voient bien que la guerre en Syrie bat son plein, que la période est charnière. Ils sont tous convaincus que ce silence des armes ne durera pas. Pire, qu’il augure des lendemains meurtriers.

Manque de munitions
Lundi, des acteurs de la société civile ont organisé une marche jusqu’au sérail de Tripoli. Leurs mots d’ordre sont véhéments. Dans son discours enflammé, mettant dos à dos le gouvernement et les responsables tripolitains, la présidente des employés de banque de Tripoli Maha Maqdam crie: «Nous voulons vivre! Tripoli doit cesser d’être une boîte aux lettres! Pourquoi les affrontements se sont-ils arrêtés? N’aurait-on pas pu utiliser le bâton un, deux ou trois jours auparavant?». L’expression d’un ras-le-bol.
De nombreux habitants expliquent que les véritables raisons qui ont conduit les belligérants à cesser le combat ne sont pas à chercher du côté des politiques. Le manque de denrées alimentaires en est une. La persistance des combats a fini par couper les circuits d’acheminement de marchandises. La faim et la soif ne font pas de différences entre les combattants. Il s’agirait là d’une pause qu’utilisent en fait les miliciens pour reprendre des forces. Physiquement et sur le plan matériel. L’autre conséquence de ces difficultés d’acheminement concerne aussi l’armement. Pour certains, l’arrêt des combats s’expliquerait par le manque de munitions. Epuisés des deux côtés, les stocks sont à réapprovisionner.
Pour une grande partie des Tripolitains, l’Etat a manqué à son devoir d’autorité. Ils considèrent que la ville, surreprésentée dans les plus hautes sphères du pouvoir, est l’otage d’un marchandage qui empêche le Premier ministre Najib Mikati et les FSI dirigées par Achraf Rifi de frapper d’une main de fer les groupuscules islamistes qui représentent un poids politique certain. En une phrase, ils se couchent devant les salafistes pour s’assurer un bénéfice électoral pour l’un, la sympathie populaire pour l’autre. Les députés tripolitains multiplient les réunions de travail pour l’image, et les voix apaisantes, comme celles du mufti de Tripoli Malek Chaar ou du maire de la ville Nader Ghazal, sont inaudibles dans ce fracas.
Ces récriminations visent également l’armée. Les riverains lui reconnaissent une chose: sa seule présence du côté de la rue de Syrie a évité la mise en place d’un massacre généralisé. Elle empêche la guérilla urbaine de se transformer en combat rapproché. Mais les habitants voudraient qu’elle s’implique davantage, qu’elle aille au front à chaque tir, qu’elle quitte sa zone de confort pour se frotter directement aux combattants. Ces derniers mois, les plans de sécurité se sont multipliés sans résultat tangible. La dissuasion militaire ne dure qu’un temps.
Dimanche dernier au Palais de Baabda, le président Michel Sleiman a convoqué un Conseil supérieur de sécurité auquel ont notamment assisté le chef du gouvernement, le commandant de l’armée Jean Kahwaji et le chef des services de renseignements de l’armée au Nord, Amer Hassan. Il a été décidé de placer à Tripoli toutes les forces de sécurité sous le commandement de l’armée. Sur le terrain a été adoptée une stratégie plus invasive.

Préciser le rôle de l’armée
Le déploiement forme une triple ceinture sécuritaire. A partir de la rue de Syrie, cette fois-ci, les chars et les commandos ont été déployés à l’intérieur des deux quartiers de Tebbané et de Jabal Mohsen. Dans les zones vers lesquelles se sont déplacés les combats, dangereusement proches des quartiers commerçants de la ville, les effectifs ont été renforcés. L’armée est également présente sur les routes qui mènent au camp de Beddaoui, aux contrées du Akkar et vers le territoire syrien.
Pour assurer l’application de ce nouveau plan, trois brigades, soit 600 hommes supplémentaires, ont été dépêchées au cours de la semaine dans la zone. De son côté, le gouvernement a décidé d’allouer la somme de 500 millions de livres à cet effet. Le très loquace ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel a expliqué que le plan de sécurité prévu pour Tripoli est différent des précédents. «L’armée va entrer dans tous les quartiers et démanteler les barricades».
Les parlementaires du Bloc du Futur se sont déclarés «extrêmement surpris par la décision du Conseil supérieur de la défense de déployer une nouvelle fois l’Armée libanaise». «Normalement, l’armée était censée être toujours présente dans ces deux quartiers. Pourquoi donc l’armée se serait-elle retirée vers la base?». Mardi, Najib Mikati était de retour à Tripoli. Il n’y était pas revenu depuis le début des affrontements. Il explique que «si l’armée ne s’était pas déployée à Tripoli, un émirat aurait été créé». C’est la première fois que le Premier ministre s’exprime en ces termes. Il assure, «le 15e round de violences n’aura pas lieu ou alors il ne viendra pas tout de suite».
Que préparent les combattants? Vendredi dernier, les combattants de Tebbaneh se sont choisi pour nouveau leader un dénommé Hussam Sabbagh. Cet ancien responsable d’al-Qaïda, qui a participé aux combats du Fateh el-islam contre l’armée à Nahr el-Bared, sur le terrain tripolitain depuis plusieurs mois, est aujourd’hui chargé de mener les combats contre leurs adversaires de Jabal Mohsen. Cette semaine, le leader alaouite de Tripoli, Rifaat Eid, fait état de la présence d’armes «de toutes sortes à Tripoli en provenance de Syrie et de l’expansion de membres de l’ASL».
Malgré les assurances de l’Etat, le ressenti des Tripolitains et la violence des combats en Syrie font craindre une inévitable reprise des combats.

Julien Abi-Ramia
 

L’affaire Tal-Kalakh
Le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, est décidément à la pointe de ces affaires-là. Les corps de trois des quatorze combattants libanais tués à Tal-Kalakh ont été remis dimanche aux autorités libanaises. Les dépouilles de Khodr Alameddine (Minié), d’Abdel- Hamid Ali Agha (Kobbé) et de Mohammad Ahmad el-Mir (Kobbé) ont été remises, au poste-frontière de Arida, à une délégation de dignitaires de Dar el-Fatwa, présidée par le cheikh Amine Kurdi, et conduites vers Tripoli, dans un convoi de la Sûreté générale. Le rapatriement des trois corps intervient au lendemain de la visite, à Damas, du général Ibrahim, qui a rencontré le général Ali Mamlouk. La Syrie a annoncé que les dépouilles seront rapatriées en trois fois.
 La suite de la procédure était mercredi à l’ordre du jour de la rencontre entre le chef de la diplomatie libanaise Adnane Mansour et l’ambassadeur syrien Ali Abdel-Karim Ali.
    
 

 

 


 

Farid Makari, vice-président du Parlement
«On m’a conseillé de quitter le Liban»

De Paris où il se trouve, par précaution, après avoir reçu des mises en garde, Farid Makari assure que le 14 mars remportera les prochaines élections. Le vice-président du Parlement tire à boulets rouges sur le Hezbollah et Michel Aoun et ménage Nabih Berry.

Vous vous trouvez à Paris. Avez-vous reçu des menaces à l’instar du mufti de Tripoli et du Nord, Malek Chaar?
En fait, j’ai reçu des mises en garde provenant de sources sécuritaires et politiques qui m’ont conseillé de quitter le Liban. Je suis donc venu à Paris. Si cela ne tenait qu’à moi, je serais resté et advienne que pourra. Mais je considère que la sauvegarde de la vie de chacun des membres du 14 mars est une responsabilité, afin de ne pas permettre aux ennemis du Liban d’exécuter des assassinats pour renverser l’équation encore une fois. En juin 2013, le 14 mars remportera les élections quelle que soit la loi électorale.

Les présidents et rapporteurs des Commissions parlementaires et les membres du bureau du Parlement du 14 mars ont approuvé la poursuite des travaux de la Sous-commission de suivi, issue des Commissions mixtes. Quel est votre avis?
Telle a été notre position dès le premier jour. Nous n’avons fait aucune objection quant aux réunions de la Commission de suivi tant que le gouvernement en est absent. Le seul empêchement est le danger que courent les députés du 14 mars. Nous sommes attachés à œuvrer pour l’adoption d’une nouvelle loi électorale et l’organisation des législatives selon le calendrier prévu, parce que nous sommes confiants que ces élections vont rectifier le déséquilibre actuel provoqué par les «chemises noires» et redynamiser la révolution du Cèdre. C’est l’autre camp qui craint l’échéance constitutionnelle et qui veut la contourner pour maintenir ce gouvernement en place. De toute façon, nos députés vont se concerter avec le président Berry une deuxième fois, sachant que la proposition qu’il leur a faite à Aïn el-Tiné était excellente. J’émets aussi des réserves sur la proposition concernant la convocation des Commissions en l’absence des ministres. Parce que la majorité des ministres ne participent pas aux travaux mais se font représenter… Ce qui équivaut à dire que le gouvernement sera indirectement présent.

Vous vous êtes, paraît-il, excusé auprès du président Berry de ne pouvoir présider la Commission de suivi. Pourquoi?
Lorsque le président Berry m’a contacté pour me parler de cette Commission, je lui ai dit que je n’étais pas contre la tenue de ses réunions. Mais je me suis excusé de ne pouvoir y participer en raison de ma présence à l’étranger. Je lui avais dit qu’il pouvait nommer pour cela l’aîné des députés ou encore le président de la Commission de l’Administration et de la Justice ou celui de la Défense et des Municipalités. Ainsi, cette Commission pourra se réunir, mais il reste le facteur sécuritaire. Plusieurs des députés du 14 mars sont menacés et ne sont pas disposés à offrir leur vie aux criminels…

Pourquoi le 8 mars craint-il les élections?
Parce que notre réussite en 2013 complétera la révolution du Cèdre. Quelle que soit la loi, les résultats ne leur seront pas favorables, à moins d’adopter la proportionnelle qu’ils ont conçue à leur mesure. Quoi qu’il en soit, ils continueront à vouloir être dominants. Nous avons gagné en 2005 et en 2009 et ils ont usurpé le pouvoir. Ils veulent prouver qu’ils gouvernent par des moyens politiques alors qu’ils gouvernent par la force des armes.

Si jamais les Commissions n’arrivent pas à se réunir, est-ce la loi de 1960 qui sera appliquée?
Non, même la loi de 1960, selon les propos du ministre de l’Intérieur, doit être amendée pour que les émigrés aient la possibilité de voter.

Votre avis sur la dernière position du général Aoun qui a déclaré préférer le mode de scrutin basé sur la circonscription unique?
Bizarre. Il réclamait la proportionnelle telle qu’approuvée par le gouvernement ou alors le Projet orthodoxe… S’il commence à vouloir la circonscription unique, c’est qu’il a cédé aux volontés du Hezbollah et consorts…

Est-il possible d’élire un patriarche orthodoxe libanais? Y a-t-il une influence quelconque du régime syrien sur l’élection d’un nouveau patriarche?
Peu importe qu’il soit syrien ou libanais. Ce patriarcat est responsable de la communauté orthodoxe dans les deux pays. Je connais mieux, pour ma part, les évêques libanais, l’un d’entre eux m’est particulièrement cher et il jouit d’une envergure équivalente à dix patriarches. J’ai nommé Mgr Elias Audeh. Mais cette affaire relève de l’Eglise, et si nous devons la considérer sous l’angle régional, la possibilité que le nouveau patriarche soit syrien est plus plausible parce que la majorité des évêques le sont. Le choix est du ressort du concile d’Antioche. J’espère qu’ils choisiront la bonne personne pour occuper cette haute position. Mais il est important qu’elle ne soit pas liée au régime syrien. Je ne dis pas forcément opposée au régime, mais au moins pas de sa fabrication. Malheureusement, il existe des évêques qui portent ce qualificatif.

Propos recueillis par Saad Elias

 


 

Affaire Okab Sakr
Parole contre parole

La révélation des enregistrements audio d’Okab Sakr par le journal al-Akhbar n’en finit plus de faire couler de l’encre. Le principal intéressé a répondu aux accusations par d’autres, protestant contre la «manipulation».

Sans doute «sonné» au départ par les révélations de ses enregistrements téléphoniques avec plusieurs chefs rebelles syriens, le député de Zahlé Okab Sakr n’avait, dans ses premières déclarations, fait qu’authentifier sa voix et ses propos sur les bandes. Mais quelques jours plus tard, Okab Sakr a effectué un rétropédalage en règle, depuis la Turquie. Dans une conférence de presse savamment orchestrée, l’élu du Moustaqbal s’est insurgé contre une «machination montée de toutes pièces».
Très virulent dans ses propos et dans ses gestes, Sakr a entrepris de démonter une par une les affirmations relayées par al-Akhbar et la OTV, conseillant même à ces médias de «troquer leurs reporters contre des avocats, parce qu’ils vont en avoir besoin». Selon lui donc, les enregistrements des conversations téléphoniques auraient été «volés de son ordinateur», puis auraient subi «un montage spécial» afin de le faire passer pour un trafiquant d’armes. Pour appuyer son propos, le député a exposé chacune des bandes originales dans leur intégralité, avant montage, selon lui.
Des copies des enregistrements donc qu’il a affirmé vouloir remettre à la justice libanaise afin de prouver son innocence. Pourtant, vendredi 9 décembre, le bureau du procureur général Hatem Mati n’avait toujours pas reçu lesdits enregistrements, selon des sources judiciaires haut placées.
Se posant en victime d’un complot orchestré par les forces et les médias du 8 mars, Sakr a expliqué durant sa conférence de presse que «les voleurs possèdent actuellement plus de 500 minutes d’enregistrement, donc 109 environ qui me concernent, ainsi que des enregistrements vidéo et photos dont la plupart ont été exposés». Sûr de son fait, il est allé jusqu’à défier «tous ceux qui ont initié le débat d’en reparler et d’assurer un suivi de l’affaire jusqu’au bout. Vous allez vous en mordre les doigts et ravaler votre bagout».
Selon la version d’Okab Sakr, le soutien procuré par ses soins et par son parti se compose uniquement d’un volet «humanitaire». Dans le premier enregistrement «original» qu’il a diffusé lors de sa conférence de presse et au cours duquel Abou Nehman lui réclame «du plomb», on entend donc Sakr lui rétorquer qu’il est «de tout cœur avec la révolution, mais je n’ai aucune capacité en matière d’armement». Plus loin, alors que son interlocuteur insiste, il poursuit: «Je peux vous offrir de l’argent, des aides humanitaires et médicales, mais pas des armes. Nous n’entrerons pas dans la question des armes et nous n’en avons pas».
Dans un deuxième enregistrement qui aurait lui aussi subi un montage de la part des médias proches du 8 mars, Sakr affirme, lui, qu’il n’est question que de livrer «du lait pour les enfants, des couvertures et de l’aide médicale qui seront assurés au plus vite». L’élu s’en est ensuite pris avec virulence à Jamil Sayyed, Wafic Safa, le responsable de la sécurité du Hezbollah, mais aussi à al-Akhbar et son directeur Ibrahim el-Amine», à la chaîne OTV – accusés d’être les chabihha des médias libanais – ainsi que, sans le nommer, à Michel Aoun.
Saad Hariri a en tout cas félicité son poulain au sortir de la conférence de presse, ajoutant qu’il continuerait à soutenir le peuple syrien. Du côté du Moustaqbal, où le soutien se faisait un peu timide au départ, on a relevé la tête, comme en témoigne cette déclaration du parti mardi: «La diffusion d’enregistrements falsifiés nécessite des mesures de la part du pouvoir judiciaire et du Conseil médiatique national, qui doit poursuivre chaque fraudeur».
Du côté d’al-Akhbar, on maintient que les enregistrements parvenus au journal sont «authentiques». Dans l’un des articles parus depuis, le quotidien révèle avoir fait appel à des «experts audio» qui relèvent que les bandes présentées par Sakr «ont été plus trafiquées que nécessaire», en s’appuyant sur des faits techniques. Des segments de voix auraient été ajoutés aux bandes originales.
Pour trancher, la justice libanaise, qui a demandé depuis, des enregistrements de Sakr aux chaînes al-Jadeed, Future TV et OTV aura donc fort à faire. Et en tout cas, elle devra s’appuyer sur des experts indépendants et de haut niveau pour décrypter le vrai du faux.

Jenny Saleh

 

Mandats d’arrêt
L’avocate May Khansa avait déjà porté plainte contre Okab Sakr et Saad Hariri la semaine dernière pour «terrorisme et crimes contre l’humanité».
Mardi, le bureau d’Interpol au siège des FSI à Beyrouth a reçu par mail des mandats d’arrêt émis par les autorités judiciaires syriennes contre Saad Hariri, Okab Sakr et le porte-parole de l’Armée syrienne libre, Louaï Mokdad, tous trois accusés d’armer la rébellion syrienne.

 


 


Gebran Tuéni
Un héritage moral

Sept ans déjà que Gebran Tuéni nous quittait. La commémoration de son assassinat coïncide cette année avec le retour du spectre des assassinats et avec le martyre du chef du service des renseignements des FSI, le général Wissam el-Hassan.
 

Une messe a été dite à sa mémoire en l’église St-Dimitri à Achrafié, présidée par Mgr Elias Audeh, en présence de la famille et nombre de personnalités. Dans son allocution, le métropolite de Beyrouth a rappelé les valeurs morales qui étaient celles de Tuéni. Il a souligné que, tout en se sachant menacé, il n’avait jamais hésité à être là où il pensait devoir être. «Il a voulu être un exemple pour les jeunes de son pays et un exemple de vérité jusqu’au martyre», a-t-il déclaré. Il s’est demandé: «ce qui avait changé depuis le martyre de Gebran? Nous n’avons pas avancé d’un pouce, pour ne pas dire que nous avons reculé. Est-ce le pays dont nous rêvons? Est-ce le pays pour lequel est mort Gebran?», avant de conclure par un appel à l’unité pour mériter le sang des martyrs.
L’hommage de la famille est dit par la fille du martyr Michelle qui a parlé de la justice qui traîne depuis sept ans. Elle a fait appel à la justice divine et promis au nom de toute la famille et des amis d’être fidèles au message de liberté et d’unité laissé en héritage par le martyr.
Avec la mort de Gebran Tuéni, ce n’est pas seulement l’un des symboles majeurs du mouvement politique du 14 mars qui est tombé, mais une personnalité qui représentait le Liban, et le rêve unitaire et multiconfessionnel du pays.
Tuéni a payé le prix de sa liberté et de sa bataille pour la souveraineté du pays. Il a appelé le peuple libanais à l’union nationale. Il travaillait sur les questions concernant l’avenir du pays. Dénonçant ouvertement l’occupation syrienne du Liban, il écrivit une lettre ouverte à Bachar el-Assad, alors que ce dernier s’occupait de la question libanaise sous l’égide de son père. Cette lettre a eu un écho très favorable parmi la population libanaise et depuis Gebran est considéré comme l’un des grands défenseurs du Liban souverain.
Sa carrière, autant journalistique que politique, a porté un message clair à la société civile et politique libanaise: celui d’un Liban uni où les communautés religieuses et autres cohabitent pacifiquement. L’un des leaders de la révolution du Cèdre, il est élu député de Beyrouth le 29 mai 2005, sur la liste dirigée par Saad Hariri, fils du martyr Rafic Hariri.
Dernièrement, la chaîne al-Arabiya a diffusé des documents sur l’implication du Hezbollah dans le meurtre de Tuéni ce que le parti dément catégoriquement affirmant n’avoir aucun lien de près ou de loin avec cet attentat. «Les allégations de la chaîne saoudienne al-Arabiya, qui prétend se fonder sur des documents obtenus, dit-elle, auprès de l’opposition syrienne qui invente des faits et fabrique des accusations, dont celle touchant à l’assassinat du député Gebran Tuéni, n’ont aucun fondement», déclare un membre du Hezbollah.

 

Un crime revendiqué
Sept années déjà depuis la disparition de Gebran Tuéni et sa voix résonne toujours scandant le slogan par lequel il a appelé plus d’un million de Libanais réunis Place des Martyrs à répéter avec lui: «Nous jurons par Dieu tout-puissant de rester unis, chrétiens et musulmans, pour la défense de la gloire du Liban». Gebran Tuéni a été assassiné le 12 décembre 2005 dans un attentat à la voiture piégée à Beyrouth. Un groupe inconnu jusque-là, «les Combattants de l’unité et de la liberté d’al-Sham» a revendiqué ce crime. L’assassinat de Tuéni a coïncidé avec la publication du second rapport d’étape de l’enquête des Nations unies sur l’implication de la Syrie dans l’assassinat de Rafic Hariri. 

Arlette Kassas
 

 

Prix Gebran Tuéni
A la veille du septième anniversaire de l’assassinat de Gebran Tuéni, le prix remis chaque année par l’Association mondiale des journaux et des médias d’information et le journal an-Nahar à un professionnel des médias a été décerné au caricaturiste syrien Ali Farzat, célèbre pour sa détermination à révéler les abus de pouvoir en Syrie malgré les agressions dont il a fait l’objet en août 2011. Le caricaturiste qui a fui la Syrie depuis n’a pu être présent au Liban pour recevoir son prix.

 


 

Ignace IV Hazim
L’hommage du peuple orthodoxe et des autres

Bien au-delà de sa communauté, c’est à la figure tutélaire du patriarche Ignace IV Hazim que tout un pays a rendu hommage cette semaine. Son successeur est appelé à poursuivre sa mission première en prônant la coexistence pacifique.

C’était l’une de ces figures lumineuses qui, par sa sagesse et son humilité, œuvrait à un monde meilleur. Ignace IV Hazim s’est éteint au moment où l’exigence de la coexistence est mise à mal par les événements de la région. Dimanche, la cérémonie organisée à sa mémoire à la cathédrale Saint-Nicolas de Beyrouth a réuni les plus éminents représentants de l’Etat. Etaient notamment présents le président de la République, Michel Sleiman, le Premier ministre Najib Mikati, un représentant du président de la Chambre Nabih Berry, aux côtés d’un grand nombre d’officiels, d’ambassadeurs, de patriarches et d’évêques grecs-orthodoxes et catholiques. L’office divin a été célébré par le vicaire patriarcal Esber Saba. L’oraison funèbre a été prononcée par l’archevêque grec-orthodoxe du Mont-Liban, Mgr Georges Khodr.
Le patriarche œcuménique Bartholomée 1er a mis l’accent sur le vide laissé par la disparition de Mgr Hazim, «notamment, dit-il, en ces temps durs que traversent le peuple syrien et la communauté grecque-orthodoxe» dans la région. «La personnalité du patriarche Ignace et son amour pour les fils de sa paroisse, ajoute-t-il, sont une source d’inspiration pour chacun de nous au double plan spirituel et moral, parce que nous avons pu tous voir en lui une incarnation de la vertu et du courage».
Le patriarche de Moscou et de toutes les Russies, Mgr Kirill, a salué le dévouement du défunt, en soulignant «l’action qu’il a menée pour défendre les principes de la coexistence pacifique entre les représentants des différentes communautés et cultures, et pour soutenir la cause de la paix au Moyen-Orient au moment où les Terres saintes étaient prises dans une spirale de violence». Tour à tour, l’archevêque Anastasios de Tirana et de toute l’Albanie et l’archevêque de Chypre, Chryssostomos II ont salué sa contribution à «montrer la vraie face des chrétiens dans le cadre du dialogue des cultures et des religions et à
consolider la paix mondiale». Le représentant du pape Benoît XVI a salué «le témoignage d’amour et de foi» de Mgr Hazim, et «son dévouement en faveur de la réconciliation et de la paix entre les peuples».  
Après lui avoir remis, à titre posthume, les insignes de l’Ordre national du Cèdre, le chef de l’Etat a rappelé la maxime que Hazim prononçait allègrement: «Même si l’Orient se déstabilise, le Liban reste inébranlable».
Le patriarche Ignace IV Hazim a été inhumé lundi dans la vieille ville de Damas, en la cathédrale de Marie, en présence de nombreux dignitaires religieux de toutes confessions, notamment du patriarche grec-catholique, Mgr Grégoire III Laham, du chef du Parlement syrien Jihad Laham et de plusieurs ministres. Plusieurs personnalités ainsi que des élèves des écoles chrétiennes de Damas ont défilé devant la dépouille du défunt, exposée dans la cathédrale pour lui rendre un dernier hommage. A la fin de la célébration, des prélats, accompagnés des scouts, ont porté le cercueil jusqu’au caveau des Patriarches, situé dans la cathédrale de Marie où Ignace IV Hazim a été mis en terre.
 Au Liban, une messe a été célébrée à Balamand, l’une des places fortes de l’orthodoxie libanaise qu’il a largement contribué à fonder, pour le repos de l’âme du patriarche Hazim. L’office religieux a été présidé par l’évêque grec-orthodoxe de New York, Joseph Zahlaoui, en présence de l’archevêque du Bas-Danube, Mgr Casian, représentant le patriarche Daniel, chef de l’Eglise grecque-orthodoxe de Roumanie.
Sa disparition est une perte tragique pour les chrétiens syriens. Sur les 1.8 millions de fidèles chrétiens en Syrie, plus de la moitié sont grecs-orthodoxes. Déjà affaibli et malade, le patriarche Ignace avait élevé la voix contre toute intervention militaire étrangère en Syrie: «Les conséquences nuisibles de toute intervention étrangère dans nos affaires toucheraient aussi bien les chrétiens que les musulmans. La crise sanglante qui secoue la Syrie n’éloignera pas les chrétiens des musulmans». Un vœu pieux d’un patriarche qui aura été bien peu écouté dans le chaos ambiant.

Julien Abi Ramia


Qui peut prendre le flambeau?
Se pose aujourd’hui la question de la succession. Le vicaire Esber Saba a été élu au monastère de Balamand pour assurer l’intérim. Mais la disparition de Hazim a un impact incontestable dans la hiérarchie orthodoxe mondiale. Des quatre patriarcats les plus importants, ceux qui sont fondés sur des successions apostoliques directes, il y a d’abord celui de Constantinople, avec à sa tête Bartholomeos Ier, dont on ignore s’il pourra avoir un successeur, car à ce jour la Turquie maintient fermé le séminaire qui pourrait le former; le patriarcat copte d’Alexandrie, qui vient de voir Tawadros II accéder à la chaire de saint Marc, mais dont on ignore encore quel sera son rayonnement dans un pays sous le joug islamiste. Vient donc ensuite celui d’Antioche et celui de Jérusalem, dirigé par le patriarche Théophile III.
 Les cinq autres patriarcats sont dans l’ordre: celui de Moscou, avec Kirill Ie, le patriarcat serbe avec Irénée, le siège de Daniel de Roumanie, le siège vacant depuis un mois de Bulgarie et celui d’Elie II, catholicos de Géorgie.
Clairement, le rôle de facto de leader de la communauté orthodoxe mondiale échoit plus que jamais au cinquième patriarche, celui de Moscou, qui multiplie voyages et gestes en faveur des communautés orthodoxes moyen-orientales. Aujourd’hui, le grand concile panorthodoxe, qui se prépare depuis plus d’un demi-siècle, ne cesse d’être repoussé. Mais la génération de patriarches qui disparaissent, peu à peu ces derniers mois, oblige la hiérarchie à se reconstruire.

 

 

 


 

 

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