Magazine Le Mensuel

Nº 2952 du vendredi 6 juin 2014

En Couverture

Syriens du Liban. 
Comment ont-ils été mobilisés par le régime?

L’électrochoc qui frappe beaucoup de Libanais par l’importante mobilisation des Syriens aux élections présidentielles, les 28 et 29 mai, à Yarzé, n’est pas près de faiblir en intensité. Après la démonstration de force du régime syrien et de ses appuis au Liban, le gouvernement, poussé par des Libanais inquiets, prend une série de mesures qui ne vont pas dans le sens de l’apaisement.




On croyait le régime de Bachar el-Assad terminé, condamné à ses derniers soubresauts. Entaché par d’innombrables crimes, il ne représentait plus pour beaucoup de Libanais qu’une coquille vide, dont l’implosion était retardée par le soutien des milices étrangères. Loin de cet imaginaire, les élections présidentielles syriennes, organisées au Liban, ont démontré au contraire l’appui au régime d’une large frange des Syriens installés au Liban. Alors que l’issue du scrutin ne laissait planer l’ombre d’un doute, la mobilisation des électeurs a surpris tout le monde. A commencer par les organisateurs à l’ambassade qui, dépassés par les événements, ont prolongé les élections d’un jour, allant même jusqu’à monter des bureaux de vote aux postes-frontières le jour du scrutin national. Selon les chiffres de l’ambassade, quelque 150 000 Syriens s’étaient inscrits pour l’élection, 100 000 réfugiés et 50 000 expatriés. Comment une telle mobilisation en faveur de Bachar el-Assad a-t-elle été rendue possible au Liban?
Outre le Hezbollah, les partis libanais proches du régime de Damas ont fait preuve d’une capacité d’organisation et de mobilisation que peu leur auraient prêté avant ces élections. Le Parti syrien national social (PSNS) a loué plus de 300 bus pour emmener les Syriens aux bureaux de vote, selon un des chauffeurs de bus. A Nabaa, où Magazine est parti de ce point de ralliement pour rejoindre l’ambassade à Yarzé, les informations sont contradictoires. Un des chauffeurs de bus nous confie percevoir de la part de l’ambassade syrienne 250 000 livres libanaises pour tous les allers et retours de la journée entre Nabaa et l’ambassade. D’autres, présents sur le terrain, assurent que les bus sont financés par des fonds privés, sur initiative personnelle. Un groupe de cinq jeunes gens, tous membres d’une ONG humanitaire arabe, auraient ainsi déboursé chacun 600 dollars de leurs poches pour organiser ces élections. Eux ne veulent pas voter au Liban. Ils sont allés spécialement le faire en Syrie dans leur village d’origine, le 3 juin. Un d’entre eux dit avoir acheté et acheminé, depuis Sabra, toute une cargaison d’accessoires à l’effigie de Bachar pour les distribuer le jour du vote aux habitants de Nabaa. Drapeaux, pancartes et casquettes, ainsi que mille t-shirts achetés de sa propre poche à 10 000 livres libanaises l’unité. Confronté au chiffre total de son hypothétique achat, il rit d’un air gêné… et menteur.
Outre le PSNS, quelques ONG et de soi-disant initiatives privées, le parti Baas semble avoir également contribué à l’organisation de ces élections. Lors du premier jour du scrutin le 28 mai, au point de ralliement et de départ depuis Nabaa, une quinzaine de jeunes portant des t-shirts à l’effigie du parti Baas veillent au bon déroulement du rassemblement. Organisant les allers et venues des bus, ils tentent tant bien que mal d’assurer l’ordre, au milieu de gens prêts à grimper par les fenêtres des bus pour aller voter. Veillant également à la sécurité,  ce sont eux qui nous ont conduits vers leur responsable, qui nous interdira de prendre des photos. Lorsque nous le revoyons dans son bureau le lendemain, nous apprenons qu’il est le responsable de la branche libanaise du Baas à Nabaa. Face au rôle présumé de ce parti dans les élections présidentielles syriennes, Magazine est allé interroger son secrétaire général dans sa maison de Nabi Chit, dans la Békaa. Assis à côté d’une photo le représentant aux côtés du président Bachar el-Assad, avec qui il a une étrange ressemblance physique, Fayez Choker nie toute implication du parti dans les élections syriennes. «Le Baas dispose d’une certaine notoriété dans quelques quartiers. Si ces jeunes organisateurs ont porté le t-shirt du parti, c’est pour profiter de cette notoriété, afin que les gens suivent leurs consignes. Mais cela ne veut pas dire qu’ils soient membres du parti, encore moins que le parti a pris part à l’organisation des élections», nous assure-t-il.
Outre des élections dont l’organisation a été facilitée par différents groupes politiques, associatifs et privés, c’est la capacité à mobiliser et la préparation que celle-ci a nécessité qui démontrent la réelle force du régime et son assise chez les Syriens du Liban. Cette mobilisation inattendue est le fruit d’un travail de longue haleine, enclenché par les autorités syriennes à travers l’ambassade, relayé par les partis et bureaux politiques locaux, et mis en œuvre par les jeunes les plus motivés et dévoués à Bachar el-Assad. Ainsi, la campagne pour les inscriptions sur les listes électorales a suivi cette chaîne d’action. Ouvert vingt jours avant la journée électorale, le bureau d’inscription de Nabaa a fait l’objet d’une véritable campagne de pub, de sorte que tout le monde connaissait son existence, sans se rappeler exactement par quel biais. Groupes Facebook, messages WhatsApp, affiches sur les murs, et surtout le bouche à oreille, tous les moyens ont été employés pour enregistrer plus de 25 000 citoyens syriens vivant dans le caza du Metn.
Bachar el-Assad a le bras long, si long qu’il s’invite dans presque chaque foyer syrien du Metn, pour inciter ses habitants à aller voter. C’est cette capacité à mobiliser même à l’étranger qui inquiète les Libanais. Le gouvernement, pris au dépourvu, a pris une mesure visant à réaffirmer son pouvoir sur son territoire. Dimanche, le ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, a annoncé les intentions du gouvernement de priver de leur statut les réfugiés qui se rendraient en Syrie pour voter le 3 juin. Le ministre des Affaires sociales, Rachid Derbas, considère que cette initiative vise à «séparer réfugiés et conflit». Pour d’autres, il s’agit d’une mesure d’intimidation des nombreux réfugiés de la Békaa qui, plutôt que de se rendre le 28 mai à l’ambassade à Yarzé, comptaient voter directement en Syrie ou à la frontière toute proche.


Elie-Louis Tourny


Partout dans le monde


Tout comme au Liban, le 28 mai était le jour décidé par les autorités syriennes pour le vote de leurs concitoyens expatriés. Une quarantaine de pays auraient ainsi vu les ambassades syriennes se remplir de monde ce jour-là. Certains pays ont interdit l’organisation d’un vote, comme la France, l’Allemagne ou les Emirats arabes unis.





Des élections mises en scène?

Selon le 14 mars, l’ambassade de Syrie au Liban a tout fait pour que les élections soient le plus mal organisées possible, afin de bloquer et de compliquer la vie des Libanais. Le ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, affirme ainsi que le gouvernement avait suggéré dès le départ à l’ambassadeur de mettre en place des bureaux de vote aux postes-frontières, mais que celui-ci n’en a fait qu’à sa tête. Ces accusations du 14 mars semblent exagérées, surtout après les recommandations de ses alliés, les Etats-Unis, au gouvernement de ne rien faire pour faciliter les élections présidentielles syriennes au Liban.

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