Alors qu’un groupe de contact réunissant des représentants de l’Ukraine, de la Russie, des séparatistes et de l’OSCE cherche une issue à la crise à Minsk, la situation s’enlise sur le terrain. L’armée ukrainienne accumule les revers.
Après une brève période d’accalmie toute relative, le front ukrainien semble s’embraser de nouveau depuis une dizaine de jours. Plus particulièrement dans la zone sud-est de la région séparatiste entre le fief rebelle de Donetsk, la frontière russe à l’est et le port stratégique de Marioupol au sud, sur les bords de la mer d’Azov. Une vaste zone qui semble avoir été abandonnée par l’armée ukrainienne, sans vraiment combattre. Lundi, on apprenait que Kiev avait encore reculé dans l’est, retirant ses soldats de l’aéroport stratégique de Lougansk. Pour justifier ce nouveau revers, les Ukrainiens ont évoqué des tirs d’artillerie provenant de «troupes russes». L’abandon de l’aéroport de Lougansk confirme le renversement de la tendance sur le terrain où les troupes gouvernementales, après avoir engrangé les succès en juillet, essuient désormais une série d’échecs face aux insurgés.
Kiev et les Occidentaux accusent depuis une semaine, en brandissant des photos satellitaires, la Russie d’avoir déployé des troupes régulières dans l’est de l’Ukraine. Soit plus de 1 000 hommes selon l’Otan, 1 600, selon Kiev.
Des accusations qui ont entraîné de vives dénégations de Moscou qui dément que des forces russes se trouvent en Ukraine, mais aussi de livrer des armes aux insurgés. Le vice-ministre russe de la Défense, Anatoli Antonov, confiait ainsi le 30 août à l’agence de presse Ria Novosti et à la télévision slovaque, que les insurgés du Donbass combattent avec les armes prises dans les dépôts militaires hérités de l’époque soviétique. «Après la chute de l’URSS, des millions de fusils d’assaut, de mines, de systèmes d’artillerie et d’autres armements sont restés sur le territoire ukrainien», a indiqué Antonov. «La région où les hostilités sont en cours et où Kiev mène son opération punitive ne fait pas exception à la règle: il y avait là des dépôts militaires qui sont passés sous le contrôle des insurgés», a ajouté le vice-ministre.
Autour de Donetsk aussi, les forces loyalistes ukrainiennes semblent se retirer. Des barrages de l’armée à la hauteur de Mriïnka, avaient disparu lundi, tandis que près de Bérézové, au sud de la province séparatiste, un char de l’armée et des véhicules de transport de troupes ont été abandonnés. Depuis la mi-avril, le conflit dans l’est de l’Ukraine a fait près de 2 600 morts, et des milliers de blessés parmi les civils, ainsi que des centaines de milliers de réfugiés et déplacés. Ces derniers jours, pas moins de 700 soldats ukrainiens ont été capturés par les insurgés dans la région de Donetsk. La situation reste plus que jamais explosive.
Dans ce contexte, les déclarations d’un général de l’Otan au magazine allemand Der Spiegel prennent un relief particulier. «Du point de vie militaire, Kiev a essuyé une défaite» dans l’est, indique cette source haut placée dans l’alliance atlantiste. L’hebdomadaire Der Spiegel relève aussi d’après des sources proches du dossier que le président ukrainien «n’a aujourd’hui qu’à négocier pour libérer ses hommes de l’étau russe».
Echanges de piques
Dans le même temps, les déclarations s’accumulent, côté russe, mais aussi côté ukrainien. Alors que lundi, le président russe Vladimir Poutine en appelait «au bon sens», espérant que ni la Russie, ni l’Union européenne, ne provoqueraient de «dégâts avec ces piques respectives», du côté ukrainien, le ton est monté. Ainsi, le ministre ukrainien de la Défense n’a pas hésité à comparer la situation avec la Seconde Guerre mondiale, à l’heure où les commémorations de la Libération sont célébrées.
«Une grande guerre est arrivée dans notre maison, une guerre comme l’Europe n’en n’avait plus connue depuis la Deuxième Guerre mondiale. Dans une telle guerre, les pertes vont se calculer non par centaines, mais par milliers, voire par dizaines de milliers de morts», a averti Valéri Guéleteï. Selon lui, la priorité est désormais d’organiser la défense afin d’empêcher la Russie d’avancer «sur d’autres territoires ukrainiens». Des propos forts qui ont trouvé un écho dans le discours du Premier ministre polonais et futur président du Conseil européen, Donald Tusk, qui a mis en garde lundi contre les dangers d’une guerre «pas seulement dans l’est de l’Ukraine», lors de son discours commémorant le 75e anniversaire de l’agression de l’Allemagne contre la Pologne.
Ban Ki-Moon, le secrétaire général de l’Onu, continue d’appeler à une solution politique, afin d’éviter des conséquences «régionales et mondiales».
Et c’est justement une solution politique que tente de trouver, à Minsk, le groupe de contact réunissant des représentants de Kiev, de Moscou, de l’OSCE et des séparatistes. L’issue n’apparaît pas bien évidente, au lendemain des déclarations de Vladimir Poutine qui évoquait l’idée d’un «statut étatique» pour les régions rebelles ukrainiennes.
Malgré une situation plus que jamais explosive, le président Poutine a déclaré lundi, sur la chaîne russe, Perviy Kanal, que le dénouement de la crise «dépend en grande partie de la volonté politique du gouvernement ukrainien actuel». Il a aussi confié garder espoir, estimant que son homologue ukrainien, Piotr Porochenko, qu’il a récemment rencontré, lui a «semblé sincère», un «partenaire avec qui il est possible de dialoguer».
«Je pense que c’est une très bonne leçon pour nous tous, pour que cette tragédie se termine au plus vite, de manière pacifique, en négociant – c’est ce qui a été convenu. D’ailleurs, on s’est entendu avec monsieur Porochenko pour que personne ne répète jamais les erreurs commises en Ukraine au cours de la prise du pouvoir par la force, car c’est la cause primaire de ce qui se passe aujourd’hui», a noté Poutine.
Une force réactive pour l’Otan
Le message lancé par Anders Fogh Rasmussen, le secrétaire de l’Otan, depuis Bruxelles, est clair. L’alliance atlantiste est prête à défendre tous ses alliés contre n’importe quelle attaque, et en très peu de temps. «Nous allons maintenant améliorer considérablement la réactivité de la force de l’Otan, a-t-il déclaré. «Nous allons développer ce que j’appellerais un fer de lance au sein de notre force d’intervention, une force très réactive capable de se déployer à très court terme». La Russie paraît naturellement en ligne de mire de ces déclarations qui apparaissent comme le prélude du prochain sommet de l’Otan, en fin de semaine, à Londres.
Ces déclarations ont provoqué une réaction quasi immédiate des Russes. Un responsable militaire russe a ainsi déclaré mardi que Moscou va adapter sa doctrine militaire en prenant compte de l’évolution de l’apparition de nouvelles menaces et, notamment, le renforcement de la présence de l’Otan à ses frontières, selon Ria Novosti. «Tous les faits témoignent de la volonté des autorités des
Etats-Unis et de l’Otan de poursuivre leur politique de détérioration des relations avec la Russie», a dénoncé par ailleurs Mikhaïl Popov, secrétaire adjoint du Conseil de sécurité russe.
L’UE tergiverse et se prépare
Alors que le dernier sommet européen a montré une nouvelle fois, les tergiversations de l’Union européenne, de nouvelles sanctions sont néanmoins en préparation. Elles pourraient cette fois toucher les nouvelles obligations de l’Etat russe, ou encore les technologies à double usage civil et militaire, ainsi que les équipements de prospection dans le domaine de l’énergie.
Dans le même temps, Bruxelles s’inquiète d’une éventuelle coupure du gaz russe cet hiver, Moscou restant le premier fournisseur de l’Union européenne en pétrole, charbon et gaz naturel. Rappelons que les pipelines traversent le territoire ukrainien…
Selon Kiev, Moscou aurait l’intention de fermer le robinet du gaz, une accusation démentie par la Russie qui estime plus probable que l’Ukraine utilise une partie du gaz destiné à l’UE pour sa propre consommation. «A court terme, nous sommes très inquiets pour l’approvisionnement de cet hiver en Europe du Sud-Est», indique une source directement informée des projets de la Commission. Compte tenu de ces craintes, Bruxelles pourrait donc choisir d’interdire les exportations de gaz et limiter son utilisation dans l’industrie, dans un plan d’urgence. Ceci afin d’assurer l’alimentation des ménages en gaz cet hiver. Un unique fournisseur, le russe Gazprom, alimente les gazoducs européens.
Les fournisseurs d’électricité en Europe se sont eux aussi préparés à une éventuelle coupure des livraisons de gaz russe en stockant autant de gaz que possible et leurs cuves, qui sont pleines à 90%, soit 70 milliards de mètres cubes, représentent l’équivalent de 15% de la demande annuelle européenne.
Jenny Saleh