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Nº 2987 du vendredi 6 février 2015

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Bassam Tahhan, politologue et islamologue. «Je suis sûr que Daech va disparaître»

Politologue et islamologue réputé, le Franco-Syrien Bassam Tahhan livre, pour Magazine, son analyse de la situation en Syrie, au regard des derniers événements. Interview sans langue de bois.

 

La Russie a réuni la semaine dernière certains opposants syriens et des représentants du régime Assad. Un coup pour rien?
La rencontre de Moscou a constitué une action très judicieuse de la part de la diplomatie russe, dans la mesure où elle a montré la bonne volonté de Bachar el-Assad. Cette opération diplomatique russe favorise l’effritement de l’opposition au régime que l’on savait déjà morcelée. Il ne faut pas non plus en exagérer l’importance. Les gens de l’opposition qui y ont participé sont des poupées, même si ce ne sont pas les mêmes poupées que celles de la Coalition nationale syrienne (CNS). C’est une gifle à la diplomatie occidentale qui sait qu’elle ne peut plus compter sur la CNS, dont la majorité constituante est composée d’islamistes et de Frères musulmans.
Il a d’ailleurs été prouvé, documents à l’appui, que l’un de ses membres, Anas el-Abdeh, faisait partie des Ikhwan. Dès que la Russie cherche à offrir au régime syrien une victoire symbolique, c’est tout bénéfice pour Damas comme pour Moscou et, bien évidemment, en défaveur d’Ankara, Riyad ou Doha.

 

Concrètement, cela peut-il changer quelque chose sur le terrain?
Ceux qui tiennent le terrain en Syrie, ce ne sont pas ce type d’opposants, mais Daech, le Front al-Nosra et d’autres groupes islamistes d’obédience turque sans foi ni loi, qui peuvent d’ailleurs se retourner contre la Turquie un jour ou l’autre. Tout ce monde joue avec le feu. Soyons clairs, ceux qui étaient présents à la rencontre de Moscou n’ont aucune assise militaire en Syrie. Et la CNS n’est de toute façon reconnue par personne là-bas.

Entrevoyez-vous malgré tout une issue prochaine au conflit?
Ça va durer le temps que les Etats-Unis voudront fixer à l’existence de Daech. Ce n’est pas la première fois, les Américains l’ont déjà fait en Afghanistan. Ils ont cru que l’Etat islamique, le Front al-Nosra ou encore l’Armée syrienne libre seraient en mesure de renverser Bachar el-Assad, mais ils ont vite vu qu’ils en étaient incapables. Les Etats-Unis se sont orientés avec Daech ou le Front al-Nosra, qui constituaient aussi une carte de pression contre les Etats du Golfe. Ce sont eux les maîtres du jeu, ce monstre ce sont eux qui l’ont créé et qui le maintiennent en vie.

Après les attentats de Paris, qui ont fait prendre conscience de l’ampleur de la menace jihadiste, certains, comme Claude Guéant, ont appelé à reprendre langue avec les services syriens, pour lutter justement contre le terrorisme. Qu’en pensez-vous?
Il faut œuvrer pour un changement diplomatique de la France et pour ouvrir les yeux des diplomates sur la réalité syrienne. J’ai par exemple rencontré Jacques Myard, un député UMP membre de la Commission parlementaire des Affaires étrangères, avec qui j’ai eu de longues discussions. Il a cosigné un communiqué en août 2012 avec le député Alain Marsaud, disant que cette opposition syrienne reçue par l’Etat français était islamiste. Ça a fait boule de neige. Ce n’est pas une révolution démocratique, ce sont bel et bien des barbus. Le problème de la France c’est qu’elle a mis quatre ans à le réaliser. Comment un Etat comme la France peut reconnaître cette CNS qui est essentiellement formée d’islamistes? Ou c’est un double jeu de la part de la France ou c’est idiot. Rendez-vous compte que la première fois que François Hollande a reçu la délégation du CNS, il leur a donné l’accolade! C’est une erreur protocolaire d’aller donner l’accolade à un Frère musulman. J’ai dû être entendu d’ailleurs, car ensuite c’est Laurent Fabius qui a été chargé de faire la bise à Moaz el-Khatib. François Hollande est mal entouré.
Laurent Fabius n’y comprend rien; il faut qu’il parte.

Va-t-on assister à un changement de cap de la diplomatie occidentale vis-à-vis de Damas?
Les Etats-Unis ne veulent plus de la chute de Bachar el-Assad. En France, l’ex-majorité de droite avait aussi alerté que si vous bombardez Assad, c’en est fini du Moyen-Orient. Israël voudrait ce scénario, il pourrait d’ailleurs y participer dans le cadre d’une guerre, pour détruire la Syrie. Ce serait la meilleure issue pour lui actuellement. Mais je ne le crois pas, car le Hezbollah a désormais la capacité d’envoyer entre 500 et 1 000 missiles par jour sur Israël. Ce serait un grand feu d’artifice. Aujourd’hui, nous allons avoir une orientation positive envers Assad. Ils y sont obligés. La France ne peut pas, seule, s’aventurer dans une guerre en Syrie. Un coup sans les Américains n’est pas possible.

Changer de cap, en étant allié avec l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie qui jouent un jeu trouble? Selon vous, on pourrait assister à une reformation de la Grande Syrie…
Si Sykes-Picot est remis en cause, il y aura l’éclatement d’Etats dans la région. Comme la Syrie, la Turquie est candidate à l’éclatement, à cause du problème kurde, des alévis, des alaouites d’Antioche et d’Alexandrette. Les réfugiés syriens sur les territoires actuellement turcs le sont en fait sur des territoires qui appartenaient à la Syrie d’avant Sykes-Picot. S’il y a éclatement, il y a de fortes chances qu’une nouvelle Syrie se dessine, avec tous ces immigrés dans les pays voisins. Après tout, si les réfugiés syriens de Turquie revendiquent les territoires sur lesquels ils se trouvent, ce sont leurs territoires, parce que les frontières naturelles de la Syrie vont jusqu’aux contreforts du Taurus. Il y a aurait peut-être espoir pour les Arméniens du monde entier de reprendre souche dans toute cette partie située au sud de la Turquie. On va vers une Grande Syrie multiethnique, multiconfessionnelle et ça peut être aussi un projet valable, puisque Sykes-Picot est appelé à disparaître. Quant aux réfugiés du Liban, il y en a 200 000 qui ont voté pour Assad, si une partie d’entre eux s’arme, déjà le Liban est remis en cause dans sa constitution démographique et politique. Une Grande Syrie serait une nouvelle Suisse pour la région, les sunnites ne seront plus forcément majoritaires, il y aura des Arméniens, des chrétiens, etc. C’est le meilleur plan pour s’opposer à une balkanisation de la Syrie, ce n’est pas une utopie. Le chaos créateur qu’annoncent les Américains peut ne pas jouer en leur faveur, finalement. Si vous bougez le tracé des frontières, ces peuples ont le droit de concevoir autre chose. Je suis sûr que les islamistes de Daech vont disparaître.

Propos recueillis par Jenny Saleh

Qui est-il?
Né en Syrie dans une famille de lettrés, Bassam Tahhan est agrégé d’arabe et professeur de lettres arabes. Politologue, il est aussi considéré comme un islamologue de référence concernant l’histoire du Coran et de ses variantes. Il enchaîne les postes prestigieux, au Lycée Louis le Grand, puis Henri IV à Paris. Il a aussi enseigné l’arabe et la civilisation arabo-musulmane à l’Ecole polytechnique, ainsi que la géopolitique et la géostratégie à l’Ecole de Guerre.
Côté médias, il est consultant pour iTélé de 2003 à 2005, pour Radio Téhéran de 2012 à 2014 et débat régulièrement sur France 24. Il intervient aussi sur l’Agence Info Libre, un média en ligne alternatif, sur lequel figurent nombre de ses analyses. Tahhan est aussi connu pour ses débats farouches sur la Syrie, avec la reporter Florence Aubenas dans l’émission Ce soir ou jamais, avec Mounzer Makhous, représentant de la Coalition nationale syrienne sur France 24, ou encore pour ses critiques envers Laurent Fabius.

Tahhan et les médias français
Vous avez fait l’objet d’un certain boycottage de la part des médias français. Pour quelles raisons?
Sans fausse modestie, et si vous reprenez toutes mes analyses, je ne me suis jamais trompé. Moi, je suis un franc-tireur et j’ai le verbe haut, donc souvent, ça ne plaît pas. Le problème c’est que les informations sont retraitées selon l’idéologie ambiante du moment. Le politiquement correct qui est défendu n’est pas le mien. Tous les médias français obéissent à des consignes. La liberté d’expression est un mythe. Si vous prenez par exemple France 24, c’est le hall d’entrée du Quai d’Orsay, ils attendaient à une époque les aides du gouvernement français. Et moi, je contredisais la politique de Laurent Fabius, donc la responsable de l’information de la chaîne avait fait passer le message de ne pas m’inviter. France 24 a même été infiltrée de l’intérieur par la CNS, avec Ahmed Kamel, un rédacteur en chef qui est aujourd’hui l’un des porte-paroles médiatiques de la coalition.
Face à ce boycott, je me suis dirigé vers Internet et mes analyses sont très consultées sur différents médias alternatifs aux médias officiels.

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