Magazine Le Mensuel

Nº 2992 du vendredi 13 mars 2015

Rencontre

Dominique Wolton. «Transmettre n’est pas communiquer»

«Il n’y a jamais eu autant d’échanges et autant d’incompréhension» dans le monde d’aujourd’hui, selon Dominique Wolton, président du comité d’Ethique publicitaire, directeur de la revue internationale Hermès au CNRS et membre du conseil d’administration du Groupe France TV. Les différences culturelles, sociales et politiques deviennent «le ferment de nouveaux conflits», surtout entre le monde de l’Orient et celui de l’Occident. Wolton répond aux questions de Magazine.

Qu’est-ce que la communication? Comment définissez-vous la relation entre communication et démocratie?
La communication est une relation. Cette notion porte en elle trois significations: communiquer c’est partager, transmettre et négocier. Même si établir une bonne communication s’avère difficile, il reste certain que pour assurer la démocratie et garantir la liberté individuelle, le monde a besoin de communication réelle, humaine, à distinguer de la communication technique et de tout ce qui se rapporte donc à Internet et aux réseaux sociaux. Le piège dans lequel nous avons tendance à tomber, c’est lorsque nous cherchons à remplacer les difficultés de la communication humaine par les facilités que nous présente la communication technique. Au bout des réseaux, il n’y a pas d’autres réseaux, il y a des hommes et des sociétés.

Pourquoi parlez-vous d’incommunication entre l’Orient et l’Occident?
Cette incommunication est principalement due à une situation inégalitaire qui s’établit entre les deux mondes. L’Occident ne valorise aujourd’hui pas assez la richesse de l’Orient. Le premier prend en effet sa revanche, et ce à compter depuis le XVIIIe siècle. L’Orient était auparavant plus en avance par rapport aux Européens. De nos jours, ces derniers se «rattrapent». «Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples». Ces mots de De Gaulle prouvent que dans cette Terre surinvestie de symboles de toutes sortes, religieux, politiques et esthétiques, l’Orient demeure le reflet autant que le lieu d’investissement de toutes les passions. La rationalité de l’Occident a besoin de la socialité de l’Orient, et nous constatons que, progressivement, l’Orient est en train de retrouver une position dans le dialogue entre les deux mondes.

Quel rôle joue Israël dans le processus de communication entre l’Orient et l’Occident?
Israël constitue le nœud de tous les conflits de la région. Israël, c’est à la fois l’Occident, l’Etat juif, la guerre avec les Palestiniens… Ce pays forme une occasion de blocage extrêmement forte. Tant que le problème israélo-palestinien n’est pas réglé, toute la région est bloquée et la communication entre l’Orient et l’Occident est, elle aussi, bloquée.

Qu’en est-il des identités culturelles collectives? Comment celles-ci contribuent-elles à l’élaboration de la communication?
Sans identités culturelles collectives respectées, la communication ne peut pas s’établir. Le XXe siècle s’est méfié de toutes les identités en raison des guerres nationalistes. Au XXIe siècle, nous assistons à l’inverse de cette situation. Aujourd’hui, les identités culturelles collectives ne constituent pas un obstacle à la communication, mais sont la communication elle-même. Ces identités ont toujours existé, mais elles n’ont jamais été aussi visibles et revendiquées, à la fois, par l’idéal démocratique mondial, et par les sociétés qui, menacées par l’ouverture assurée par la mondialisation, les revendiquent de plus en plus. Il suffit de voir ce qui s’est passé en Iran depuis 1979 et dans de nombreux pays.

Propos recueillis par Natasha Metni

Quid de la communication technique?
«L’idéologie technique va perdurer encore quelque temps, puis s’effondrer. Je vois deux raisons à cela: d’abord, il y aura des bugs énormes, qu’ils soient économiques, financiers ou autres… Ensuite, je pense que la génération qui aura été élevée au biberon de cette idéologie technique engendrera une génération qui, en revanche, prendra conscience de la folie de son héritage. L’effritement de cette idéologie sera, je crois, accompagné d’une recherche de l’humain, car au final, notre usage immodéré de la technique n’est motivé par rien d’autre que par la recherche de l’humain… On remettra alors à leur place ces outils technologiques: parfois utiles, parfois révolutionnaires, mais aussi parfois complètement inutiles», atteste Dominique Wolton.

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