Elle expose au Liban depuis plus de trente ans. Dagmar Hodgkinson présente Liban fleuri, du 10 au 19 juillet, à l’ATCL: des aquarelles empreintes des effluves de son pays d’adoption.
Elle est allemande, mais elle est plus libanaise que certains Libanais. Dagmar Hodgkinson semble porter tellement d’histoires, dans ses yeux bleus pétillants, dans son sourire toujours éclairant son visage, émaillant ses rides de subtilité contenue. Tellement d’histoires et de souvenirs, d’ici et de là-bas, bien avant qu’elle ne décide de s’installer au Liban, dès la fin des années 50. Pour ne plus le quitter. Pour l’immortaliser dans ses tableaux, ce Liban d’antan, ce «véritable paradis» qui l’a décidée à l’adopter. C’est la beauté du pays qui l’a incitée, dès 1980, à s’atteler à l’aquarelle pour peindre la nature, les arbres, les plantes, les fleurs, la mer… Dans cette nature sur toile figurent, presque toujours, d’anciennes maisons, des villages, la vie au village, le linge étendu, les réservoirs d’eau sur les toits des maisons, les pots de fleurs disséminés partout, des terrasses aux trottoirs, le désordre ambiant… tous ces éléments typiques du Liban, Dagmar Hodgkinson les connaît tellement bien, pour s’être tant déplacée de région en région, dans tous les coins du pays, du nord au sud, de Deir el-Qamar à Byblos, de Tripoli à Saïda, à Hasroun… «J’ai été dans tous les endroits que vous pouvez imaginer», dit-elle, jusqu’à Chypre, plus d’une fois, en bateau, sur le voilier familial, recousant elle-même, quand cela était nécessaire, les voiliers, s’occupant de tout, pour rester en contact avec la nature dans tous ses éléments.
Certaines histoires, ce n’est pas elle qui les raconte, mais son amie Nancy Abdallah Stephan, toujours contente de les partager avec ceux qui ne connaissent pas Dagmar. Pour cette dernière, ces histoires ne sont sans doute pas étonnantes, elles font partie de sa vie, elles constituent sa vie. Quoi de plus normal que de les juger normales, ordinaires. Quand juste après la guerre, au centre-ville, le sol était encore jonché de mines, les sacs de sable encore empilés en barricades, elle n’hésite pas une seule seconde à s’y rendre pour peindre ce qui reste de Souk Ayass et d’y consacrer une exposition entière de laquelle il ne lui reste plus qu’un tableau accroché chez elle. Quant à Deir el-Qamar, elle se faufilait à travers les broussailles, grimpait par les fenêtres pour pénétrer au cœur des anciennes maisons du village laissées à l’abandon, les photographier, s’imprégner de chaque détail pour les peindre, tel, souvenir encore vivace, de cette très ancienne maison classée au patrimoine surplombée d’un écriteau indiquant que les soldats de Napoléon III sont passés par là, et qu’elle a immortalisée sur toile avant que la maison ne soit rasée. «Une grande partie des maisons que j’ai peintes n’est plus aujourd’hui», note Dagmar Hodgkinson qui se désole qu’il n’y ait pas, qu’il n’y ait plus, suffisamment de vert, la nature et l’architecture traditionnelle se faisant de plus en plus ravaler par le béton. Alors quand une plante rebelle, une fleur déterminée pousse entre les fissures du parpaing, sur les murs des immeubles, elle la transpose en peinture. «Pour moi, la nature est ce qu’il y a de plus joli».
Avec émerveillement, elle évoque sa terrasse à Jounié jonchée de fleurs, de plantes, d’arbustes, l’onde bleutée s’étalant à perte de regard. Elle redoute le moment où elle sera obligée de quitter le Liban, de partir s’installer en Allemagne. Atteinte de polio durant son adolescence, à l’époque où le vaccin n’existait pas, elle sait que le jour viendra où elle sera obligée de se déplacer en chaise roulante, à l’instar des 80 000 personnes qui l’ont été comme elle, en Allemagne. En chaise roulante, au Liban, la vie sera impossible à gérer toute seule, le pays n’étant nullement équipé pour répondre aux besoins des personnes handicapées. «C’est dommage, parce que je me sens tellement bien ici, j’aimerais y rester… Ce n’est pas que je me plains, je ne suis pas malheureuse. Il faut prendre les choses telles quelles. Cela vient avec l’âge», ajoute-t-elle. Son regard baignant dans l’incertitude fait écho à ce que lui a dit son fils: «Maman ne quitte pas le Liban, tu vas être malheureuse».
Le Liban où elle est arrivée la première fois, en caravane, travaillant alors dans la mode, dessinant et exécutant des modèles de robes photographiés plus tard dans un background oriental, entre le Liban, la Syrie, la Turquie… rappel de l’orientalisme de mise durant ces années-là. C’est au Liban aussi où elle a rencontré son deuxième mari, pilote anglais à la MEA, pour laquelle elle a exécuté des cartes inspirées de ses tableaux. Des cartes et des cartes postales vendues par milliers, souvenirs du Liban, moyen de garder le pays avec soi, chez soi. C’est pour cette raison que, «durant la guerre, les gens achetaient 10 à 15 tableaux pour les emporter avec eux à l’étranger».
Des tableaux, elle en a tellement peints, et vendus, ici, mais aussi en Angleterre, en Allemagne, en Arabie saoudite… Sa dernière exposition remonte à plus de dix ans. Mais, entre-temps, sa maison est encore remplie de tableaux, plus de 70 tableaux datant de périodes différentes qu’elle s’est décidée à exposer dans la salle polyvalente de l’ATCL, du 10 au 19 juillet. «Ce sera peut-être ma dernière exposition». Peut-être pas. On ne sait jamais. Avec Dagmar Hodgkinson, c’est toujours l’appel de l’aventure.
Nayla Rached