Aussitôt que Samir Geagea a appuyé officiellement la candidature de Michel Aoun à la présidence, le chef des Kataëb, Samy Gemayel, s’est empressé de tenir une conférence de presse pour déclarer qu’il ne soutiendrait pas un candidat du 8 mars. Magazine a rencontré Fadi Habr, député de Aley, pour une mise au point.
Pourquoi avez-vous pris cette position tranchée contre le soutien de Samir Geagea à Michel Aoun, alors que vous ne l’avez pas fait quand Saad Hariri a proposé la candidature de Sleiman Frangié?
Si l’on voit ce rapprochement du point de vue d’une réconciliation entre chrétiens, nous soutenons totalement cette initiative. Nous avons été d’ailleurs parmi les premiers à évoquer l’importance de la réconciliation. Nous avons tendu la main à toutes les factions libanaises, notamment chrétiennes. N’oublions pas que nous payons à ce jour le prix de la guerre fratricide qui a eu lieu entre les Forces libanaises et le général Michel Aoun. Là où ça coince, c’est sur le plan politique. Nous mettons en garde contre la portée stratégique de ce soutien. En appuyant la candidature de Aoun à la présidence, Geagea engage encore plus profondément le Liban dans les bras de l’Iran et ne respecte plus les constantes du 14 mars. Pour nous, nous devons nous rassembler autour des constantes nationales et soutenir le candidat qui fera passer le Liban avant toute autre considération.
Certains voient dans votre attitude une expression de votre mécontentement de ne pas avoir été consultés ou invités à cette réconciliation entre les deux grands partis chrétiens. Les partisans des FL et des Kataëb se sont tellement déchaînés sur les réseaux sociaux qu’il a fallu un tweet de Samy Gemayel pour leur demander de se calmer…
Le parti Kataëb s’inquiète pour l’avenir du Liban. Ce n’est pas un parti qui fait passer au premier plan ses propres intérêts. Le général Michel Aoun a une dizaine de ministres au gouvernement depuis 2011. Qu’a-t-il fait? Alors que le pays va à la dérive sur tous les plans aussi bien politique qu’économique. Il a permis au Hezbollah de se renforcer et d’étendre son hégémonie sur le Liban de façon incroyable, alors que le pays doit être ouvert à tous. Nous n’avons pas confiance en lui d’autant plus que son gendre est presque devenu un porte-parole de la Syrie et de l’Iran et non le ministre libanais des Affaires étrangères. Le Hezbollah a créé un Etat dans l’Etat sur le plan politique, sécuritaire, même la justice est touchée de plein fouet. Sa dernière arme consiste à brandir, chaque fois, la menace de la vacance du pouvoir et à paralyser toutes les institutions. J’aimerais ajouter que de nombreux partisans des FL sont d’anciens Kataëb. Nous respectons les membres et les sympathisants de ce parti même s’il y a eu des excès injustifiés sur les réseaux sociaux.
Vous n’avez jamais autant défendu les constantes du 14 mars. Est-ce une façon de prendre la place de Geagea dans cette coalition, surtout que les partisans du Courant du futur et ses médias tirent à boulets rouges sur les FL?
L’appui de Samir Geagea à Michel Aoun est une glissade vers l’Iran, et peut-être que le chef des FL ne le réalise pas. Il doit se ressaisir rapidement. Cela fait des années que nous luttons pour ne pas «donner» le Liban à l’Iran, ce pays qui a pesé de tout son poids pour morceler la Syrie en mini-Etats. Il est impératif de sauvegarder l’unité du 14 mars. C’est une énorme erreur de Samir Geagea que de jeter le Liban dans les bras de l’Iran. Il doit se rétracter. Après la levée de l’embargo, c’est l’Iran qui souhaite ressembler au Liban, alors que sur le plan intérieur, sayyed Hassan Nasrallah tient le pays du Cèdre en otage et l’utilise à la table des négociations. Je crains pour le Liban, d’autant plus que ce qui se profile en Syrie n’augure rien de bon. Il semble que nous nous dirigeons vers la partition et que nous assisterons à l’émergence d’une nouvelle Syrie.
Cela pourrait-il expliquer le revirement de Samir Geagea?
Je ne le pense pas. Le chef des FL tente d’investir pour son parti.
Propos recueillis par Danièle Gergès