Magazine Le Mensuel

Nº 3060 du vendredi 1er juillet 2016

general

Sami Nader, chercheur. L’Allemagne sortira renforcée

Sami Nader, directeur du Levant Institute For Strategic Affairs, pense qu’après le Brexit, la balance en Europe va pencher en faveur de Berlin.

Quelles sont les causes réelles à l’origine du Brexit? Y aurait-il du non-dit?
Dès le départ, la Grande-Bretagne avait des appréhensions quant à l’Union européenne. Aujourd’hui, les raisons principales qui ont donné lieu au Brexit sont des problèmes dont souffrent non seulement la Grande-Bretagne, mais aussi tous les pays européens. A savoir la concentration d’une grande partie des pouvoirs et du capital européen à Bruxelles (caractérisée par un système bureaucratique très lourd) et la volonté de se débarrasser des lourdeurs administratives. Ajoutons à cela la question de l’émigration clandestine que le Brexit n’arrêtera pas nécessairement. Pour ce qui est du non-dit, il est évident que l’Europe roule aujourd’hui à deux vitesses: l’Europe dont l’épicentre est l’Allemagne avec une discipline budgétaire très stricte, et les autres pays du Sud, qui œuvrent à une autre vitesse, qui ont une autre culture économique et souffrent même d’un certain déficit budgétaire.

Quelles seront les conséquences du Brexit au niveau de l’UE?
Une des conséquences c’est que l’équilibre des forces va pencher du côté de Berlin et on se retrouvera, de plus en plus, face à une Europe dont le centre est l’Allemagne, premier pays sur le plan économique. D’où le risque d’une fragmentation de l’Europe. Il serait intéressant de suivre actuellement les résultats du vote en Italie, ainsi que les élections prévues en Espagne. Celle-ci étant confrontée à une crise gouvernementale, surtout avec la montée de la gauche, qui signifie un vote anti-Europe.

Au niveau de la Grande-Bretagne?
L’un des arguments avancés par les «Brexiters» est celui des montants élevés payés pour faire partie de l’UE. D’après eux, on est mieux économiquement sans cela. Or, les réactions des marchés risquent aujourd’hui de prouver le contraire. Les marchés financiers se sont écroulés, le sterling perd de sa valeur et le pouvoir d’achat chute. Cela pourrait booster les exports, oui, mais qui va acheter quand on sait que 50% des exportations anglaises allaient vers l’Europe, et que cette dernière est susceptible de fermer ses portes devant ces produits? Soulignons aussi que ce qui est en jeu, ce sont les deux millions de travailleurs britanniques partout en Europe qui risquent de ne plus pouvoir circuler librement. Ce qui contribue également à la gravité du problème, c’est que, jusqu’à présent, aucune alternative à cette sortie n’a été présentée. Des accords pourraient certes être prévus, mais de quel type d’accord s’agira-t-il? On parle des modèles norvégien, suisse et turc. Un «deal», comme celui du système norvégien, consisterait à maintenir la libre circulation avec un accès au marché commun. Deux problèmes: cela coûte très cher et il faut que les 27 Etats européens acceptent. Or, ils risquent fort de ne pas accepter, car cette approche constituerait une motivation pour les autres pays pour quitter l’Europe. Un «deal» selon le modèle turc aboutirait à une unité douanière avec une libre circulation des biens, ce qui ne résoudra pas le problème des deux millions de travailleurs britanniques. Le modèle suisse, quant à lui, consiste en une série d’accords sur des sujets déterminés. Or, ceci nécessite beaucoup de temps et l’Europe est fatiguée de l’exception suisse.

La décision a-t-elle été hâtive? Ne serait-ce pas un argument suffisant pour passer d’une démocratie directe à une démocratie parlementaire?
Le référendum ne devrait pas être une pratique dont il faut abuser. On ne peut pas, par un oui ou par un non, traiter d’une question complexe. L’erreur fondamentale de David Cameron, c’est qu’il a lancé cette initiative à cause des problèmes au sein de son parti, pour booster la volonté populaire et gagner sur ses rivaux au sein de celui-ci. Résultat: Cameron a perdu, et c’est tout le projet européen et l’unité même de la Grande-Bretagne qui sont remis en question.  

Dans quelle mesure s’agit-il d’un anti-establishment?
Il s’agit effectivement d’un vote anti-establishment comme le phénomène Trump et Sanders aux Etats-Unis et les dernières élections en Allemagne. L’Europe plonge dans un «mood» anti-establishement: c’est le déclin des partis et des institutions et cette vague risque de s’étendre pour les voix qui vont dans le même sens et qui sont personnifiées soit par l’extrême gauche, soit par l’extrême droite.

What’s next?
C’est un processus long et nul ne peut trancher la question. Si la récession économique s’affirme, cette question peut être réversible. L’article 50 du traité de Lisbonne offre un cadre pour le processus de sortie, mais pour Cameron, ce n’est pas pour maintenant.

Propos recueillis par Natasha Metni

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