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Nº 2998 du vendredi 24 avril 2015

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La reconnaissance du génocide. Une victoire plus morale que matérielle

«Qui se souvient encore de l’extermination des Arméniens?», déclarait Adolf Hitler le 22 août 1939, à la veille du massacre des handicapés de son pays. Les nazis étaient ainsi les premiers à tirer la leçon du premier génocide de l’histoire, resté jusqu’aujourd’hui impuni. Pour le centenaire, Magazine se penche sur les retombées juridiques de la reconnaissance éventuelle par la Turquie du génocide.
 

La convention du 9 décembre 1948 définit le génocide comme une destruction intentionnelle, en tout ou en partie, d’un groupe national politique, religieux ou racial dont les membres sont tués pour leur appartenance à ce groupe. Le génocide est une définition juridique d’une infraction internationale. Il constitue la forme extrême du crime de masse. Un génocide est par définition un massacre, mais très peu de massacres sont des génocides.
Le génocide a été commis dans l’Empire ottoman, par le parti Union et Progrès, c’est-à-dire les Jeunes-Turcs. Quoique la Turquie ne fût constituée comme Etat qu’en 1923, elle se présente comme l’héritière de l’Empire ottoman, donc de son histoire. Jusqu’aujourd’hui, la Turquie s’entête à nier ce crime. Pourtant, c’est bien elle qui en a bénéficié, car elle a unifié et nettoyé ethniquement des territoires qui étaient peuplés en grande partie d’Arméniens. Elle a également bénéficié de la saisie des biens de ce peuple.

 

Demande de pardon
Mais les problèmes juridiques pour la récupération des biens des Arméniens sont pour l’instant pratiquement insolubles et, surtout, coûteux et à long terme, puisqu’il faudrait passer d’abord par la justice turque et, devant son refus, par une cour internationale. Il faudrait enfin disposer d’une documentation permettant d’affirmer la validité des droits et la qualité des héritiers. C’est un problème entièrement différent de celui de la reconnaissance du génocide arménien.
La reconnaissance du génocide par la Turquie aurait des retombées positives. Il n’y aurait aucune conséquence territoriale, le gouvernement arménien ayant précisé qu’il n’en a pas. C’est d’ailleurs la condition d’entrée dans le Conseil de l’Europe que de ne pas demander de modification de frontières. Sur le plan moral, la Turquie ferait la preuve de sa volonté démocratique. Une majorité d’Arméniens se satisferaient de la reconnaissance, dans la mesure où elle serait associée à une demande de pardon envers le peuple arménien.
La République turque, qui a succédé en 1923 à l’Empire ottoman, ne nie pas la réalité des massacres, mais en conteste la responsabilité et surtout rejette le qualificatif de génocide, car, et vu que les massacres ont été commis en 1915, et que la convention sur le génocide a été promulguée en 1948, le principe de la légalité des crimes et des délits interdit l’incrimination pénale, ainsi qu’une éventuelle application rétroactive de la convention de 1948 sera contraire au droit des traités. C’est l’Empire ottoman qui a commis ce crime et non pas la Turquie actuelle, qui est d’ailleurs considérée comme successeur de l’empire.
Se basant sur ces éléments, il est improbable qu’un procès international visant à sanctionner ou à reconnaître le génocide des Arméniens se tienne un jour. La responsabilité turque sera plutôt une responsabilité morale qui renvoie à la conscience, au sentiment propre de responsabilité ou de culpabilité. Il existe une impossibilité d’obtenir une condamnation de la Turquie par une juridiction internationale sur le chef de génocide, ainsi qu’une impossibilité de forcer la Turquie à reconnaître l’existence du génocide et qu’aucune contrainte juridique n’existe à l’égard de l’Etat turc, surtout que le crime a été perpétré par l’Empire ottoman, prédécesseur de la Turquie qui n’a été créée qu’en 1923, ce qui ouvre la porte à une responsabilité purement morale.

Joëlle Seif

Un génocide, selon le pape
Le dimanche 12 avril, dans le cadre solennel de la basilique Saint-Pierre de Rome, le souverain pontife a utilisé publiquement, pour la première fois, le terme hautement symbolique de «génocide» pour qualifier le massacre des Arméniens. Sans surprise, la réaction de la Turquie ne s’est guère fait attendre: Ankara a convoqué l’ambassadeur du Vatican pour évoquer la question et a ensuite rappelé son propre ambassadeur au Vatican. «Au siècle dernier, notre famille humaine a traversé trois tragédies massives et sans précédent. La première, qui est largement considérée comme ‘‘le premier génocide du XXe siècle’’, a frappé votre peuple arménien», a déclaré le pape lors d’une messe dite pour le centenaire du génocide (1915-1917) à l’invitation de l’Eglise catholique arménienne, citant un document signé par son prédécesseur Jean-Paul II en 2001.

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