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Nº 2915 du vendredi 20 septembre 2013

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El-Berké Antabli. Une halte gourmande au goût d’antan

Dans les ruelles des nouveaux souks de Beyrouth, des centaines d’enseignes modernes remplacent les échoppes d’antan. En clin d’œil au passé, Solidere a souhaité garder les noms des illustres souks de jadis. Et c’est au milieu du souk Ayass qu’une petite fille s’arrête devant une fontaine, ironie de l’histoire, elle tient dans sa main, un verre en plastique à l’effigie du plus connu confectionneur de jus de Beyrouth, Antabli, dont cette fontaine porte le nom.
 

El-Berké Antabli, autrefois, détour incontournable pour tous ceux qui foulaient les allées des souks de la capitale. Autrefois, car aujourd’hui, tout est différent. «Dans les années 20, c’était une petite fontaine, raconte Adel Antabli, héritier d’une histoire familiale devenue mémoire nationale. Avant, il n’y avait que des échoppes en bois d’un seul niveau. Les commerçants venaient avec leurs ânes et s’y posaient». Tout commence à la fin de la Première Guerre mondiale. Mohammad Antabli, d’origine syrienne, un homme grand, beau, aux yeux bleus, arrive à Beyrouth avec les troupes ottomanes. En route vers la Palestine, où ils se rendaient pour combattre, ils apprennent que la guerre est finie. «Mon grand-père décide alors de rester à Beyrouth où il rencontre sa femme, originaire d’une famille de riches propriétaires, poursuit Adel. Son père et son propre grand-père étaient déjà spécialisés dans la confection de délices orientaux: achtalié, riz au lait (rezz bhalib), jellab, etc. Il se met alors à son tour à les confectionner et à les vendre dans les rues de la capitale, du Bazar Khan au port de Beyrouth». «Dès les années 30, continue Adel Antabli, il avait pris l’habitude de venir entreposer son étalage ambulant près de la fontaine du souk Ayass, accompagné de mon père, Ahmad. C’est à lui que, vingt ans plus tard, Saïd Beik Ayass, propriétaire du souk, propose de légaliser notre présence sur la fontaine en louant l’emplacement», explique-t-il tout en cherchant dans ses archives. Il en sort l’acte de location, datant de 1953, où le loyer annuel était de 22,5 livres libanaises.
Le souk Ayass était l’«œuvre historique de l’arrière-grand-père Osman, venu de Damas à la fin du XIXe siècle développer un commerce de draps qu’il entretenait avec Manchester, se souvient Sana Ayass Khatchérian, dans un texte en hommage à ses aïeuls, intitulé Souk Ayass, ce souk qui porte mon nom. Nommé auparavant Souk Sayyour, Osman l’avait acheté à ses propriétaires druzes, l’avait agrandi, organisé et rebaptisé. Ses vitrines n’avaient ni le clinquant ni l’attrait de celles du proche Tawilé.

 

Haut lieu de rencontre
Petit-bourgeois par excellence, fréquenté par des familles de modestes fonctionnaires en quête d’une flanelle pour l’hiver, de serviettes de bain en coton d’Egypte ou du couvre-lit syrien en coton damassé pour l’été. On y trouvait ces boutiques dites de ‘‘nouveautés’’ qui recelaient autant du fil à coudre que du vernis à ongles, de la doublure en pongé que du cirage à chaussures, des cahiers d’écoliers que de l’ambre solaire, des pelotes de laine que de la verroterie». «Et puis, il y avait, vers le milieu du trajet, Berket el-Antabli, poursuit Ayass Khatchérian. Lot de consolation pour cette artère marchande sans grand caractère. On faisait une halte gourmande chez ce marchand de boissons fraîches qui officiait à l’intérieur de ce qui ressemblait à un bassin octogonal. Je crois bien qu’à l’origine, on n’y servait que du jus de nos délicieuses oranges, du sirop de roses, du sirop de mûres et un voluptueux jellab généreusement garni de pignons et de raisins secs baignant parmi des cristaux de glace que nous croquions comme autant de bonbons rafraîchissants. Sur la margelle de marbre, s’alignaient des coupelles de desserts: riz au lait onctueux et autres savoureuses achtalié parfumées à l’eau de fleur d’oranger. La Berké avait fini par donner du charme à la création de l’ancêtre et devint cerise sur le gâteau de ce coin du centre-ville. Tant et si bien qu’elle comptait parmi ses symboles touristiques», souligne la dame.
Un symbole touristique du passé, peut-être en passe de retrouver sa place. Non loin de la fontaine actuelle, des airs de souk populaire égaient, depuis 2012, l’allée Ayass du centre commercial un tant soit peu aseptisée. Revisitée pour s’inscrire dans son temps par Rana Salam et le studio Karim Begdache, l’enseigne de la famille Antabli colore le paysage de ses corbeilles de citrons et grenades, de ses grandes jarres en cuivre calligraphiées et de ses mhalabbié, méghli, riz au lait ou achtalié, prêts à faire succomber les passants, alignés dans leur présentoir vitré. Des délices concoctés par Adel Antabli, baigné dès son plus jeune âge dans la tradition familiale. «Petit, j’accompagnais  mon père au souk, raconte-t-il. Il disait que si je restais à la maison, j’allais faire des bêtises. A partir de 12 ans, je l’aidais en servant les clients et en mettant l’argent dans la caisse. Mon père voulait que tout soit parfait et donnait ses instructions à des employés, sincèrement dévoués à la tâche. Nous avions, à côté de la fontaine, trois échoppes où nous stockions, cuisinions et entreposions les appareils de réfrigération. Toutes les pâtisseries et jus étaient et sont toujours confectionnés le matin même. Nous nous servions de la fontaine comme d’une table où nous présentions nos produits, de 6h du matin à 17h, heure de fermeture du marché».
El-Berké Antabli, haut lieu de rencontre, plébiscité et adulé de tous pour ses délicieux jus et crèmes orientales, les meilleurs de Beyrouth. «En cet endroit, Souk Ayass avait le mérite d’être un petit lieu de brassage de toutes les couches de la population et de ses communautés, à l’instar de la Place des canons où se mêlaient portefaix et bourgeois, gens du jurd et citadins, fidèles de mosquée, d’église, de temple ou de synagogue, dévots et bigots, athées et mécréants, écrit Sana Ayass Khatchérian. Oasis à double titre, alimentaire et socioculturel».
La guerre civile libanaise met fin à l’histoire de la Berké Antabli, mais pas à celle de ses dignes locataires. «Comme tout le monde était parti des souks, nous avons décidé de continuer à vendre nos produits dans la rue. Nous n’avons ainsi jamais arrêté de travailler, précise Adel. C’est d’ailleurs en 1975 que j’ai commencé à travailler à temps complet en cuisine. Mon père m’avait enseigné comment faire et, depuis, c’est moi qui prépare tous les jus, les desserts et les glaces jusqu’à ce jour. Même si les produits disponibles sur le marché ne sont plus aussi naturels qu’avant, confie-t-il, nous essayons de retrouver les goûts d’antan». Et côté goût, le pari semble réussi à croire les gourmets et gourmands se succédant au comptoir.
Maroun Sfeir est un habitué. Les douceurs des Antabli, il en raffole depuis trente ans. «J’en mangeais tout le temps quand j’étais jeune à Rayfoun, où les Antabli proposaient leurs produits à travers un commerçant local», se souvient-il, tout en dégustant son cocktail d’avocat. «Le goût n’a pas changé; c’est toujours aussi bon, assure-t-il. Tout est naturel. La achtalié par exemple, c’est comme celle qu’on fait à la maison».
Après avoir ouvert une enseigne Antabli à Mar Elias et à Hamra (appartenant à son frère), Adel Antabli a voulu reprendre la place ancestrale de sa famille au souk Ayass. «La guerre étant finie, le souk a été détruit puis reconstruit par Solidere. J’ai voulu reprendre notre emplacement, mais il avait déjà été pris. Alors Solidere m’a réservé une boutique à côté». Un retour aux sources qui va sans aucun doute faire plaisir aux Beyrouthins, dont certains ont déjà pris leurs habitudes. Et la folle épopée des Antabli, maîtres dans l’art de réjouir les papilles, a de belles pages à écrire devant elle car, aux souks de Beyrouth, la quatrième génération a, d’ores et déjà, pris ses marques à travers un certain Ahmad Antabli. Un nom qui résonne encore dans les mémoires des nostalgiques, avant − on leur souhaite − qu’il soit ancré dans les souvenirs des nouvelles générations. Du grand-père au petit-fils, un trait d’union de bon augure.

Delphine Darmency

Le jellab
Délicieuse boisson traditionnelle libanaise, le jellab n’est pas confectionné à base de dattes, mais bien de mélasse de raisin et, entre autres, d’eau de rose. Parsemé d’amandes, de pignons et de raisins secs, il se boit très frais et se déguste à la paille et à la cuillère.

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