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Nº 2943 du vendredi 4 avril 2014

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Produits laitiers libanais. Pour manger bien, ne rien manger?

De la vache folle aux lasagnes à la viande de cheval, en passant par le poulet à la dioxine pour arriver à l’affaire de la natamycine dans la labné libanaise, le monde a vu se dérouler une dizaine de scandales alimentaires majeurs. De plus en plus, de nouveaux interdits alimentaires voient le jour et le degré de véracité de cette tendance est au centre de la polémique alimentaire.
 

Dans son émission Hki Jéliss du 18 mars, à la LBCI, Joe Maalouf expose le problème de la labné libanaise. Après maintes analyses effectuées sur différentes marques de ce produit laitier, il s’est avéré que certaines contiennent une quantité de natamycine dépassant la concentration maximale autorisée et définie par le comité du Codex Alimentarius (programme commun de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture et l’Organisation mondiale de la santé – OMS).
La natamycine est un antibiotique, un fongicide, développé industriellement comme produit pharmaceutique et comme additif alimentaire pour inhiber la croissance fongique et la moisissure sur certains fromages ou autres produits. Selon un rapport de l’OMS, une prise quotidienne de 300 à 1 000 mg de natamycine provoque nausées, vomissements et diarrhées. Utilisée en médecine sous forme de tablettes à sucer pour traiter des maladies de la bouche, le patient consomme de la natamycine dix fois plus (10 mg) que la quantité contenue dans les aliments aux croûtes comestibles.
En conséquence aux différentes maladies nutritionnelles et à la suite de la présentation mensongère des valeurs nutritionnelles et des ingrédients sur l’étiquette des produits alimentaires, le consommateur libanais est incapable de choisir en connaissance de cause son mode de vie nutritionnel. Selon la directive 2000/13/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mars 2000 relative au «rapprochement des législations des Etats membres concernant l’étiquetage et la présentation des denrées alimentaires, ainsi que la publicité qui leur est faite», l’étiquetage, la présentation et la publicité des denrées ne peuvent pas être de nature à induire l’acheteur en erreur sur les caractéristiques, les propriétés ou les effets de l’aliment. L’étiquetage doit comporter des mentions obligatoires, facilement compréhensibles et visibles, clairement lisibles et indélébiles. Les mentions obligatoires doivent couvrir: la dénomination de vente, la liste des ingrédients, la quantité des ingrédients ou des catégories d’ingrédients exprimés en pourcentage, la quantité nette, etc.
Si l’on devait appliquer ces normes européennes aux denrées alimentaires libanaises, et si l’on prenait le cas de la labné libanaise, la natamycine ne figure pas sur l’étiquette du produit parmi les ingrédients utilisés. De même, selon le paragraphe 4.2.1 de «la Norme générale pour l’étiquetage des denrées alimentaires préemballées» (Codex Stan 1-1985), «à l’exception des aliments composés d’un seul ingrédient, l’étiquette doit comprendre une liste complète des ingrédients». Aussi, d’après les paragraphes 4.2.4.1 et 4.2.4.2:
n «Tout additif alimentaire, transféré dans un aliment en quantité importante ou suffisante pour y exercer une fonction technologique à la suite de l’emploi de matières premières ou d’autres ingrédients dans lesquels l’additif a été utilisé, doit être déclaré dans la liste des ingrédients» (4.2.4.1).
n «Les additifs alimentaires transférés dans les aliments à des niveaux inférieurs à ceux requis pour exercer une fonction technologique, de même que les auxiliaires technologiques, n’ont pas besoin d’être déclarés dans la liste des ingrédients» (4.2.4.2).
Au Liban, de telles normes sont quasi inexistantes et le problème du manque de contrôle sur les produits alimentaires, de l’absence d’un laboratoire central agréé et de l’absence d’une loi sur la sûreté alimentaire devient de plus en plus récurrent.

 

Scandale ou propagande?
Le scandale de la labné à la natamycine (indépendamment du fait de savoir si celle-ci est oui ou non nuisible à la santé) ne se règle pas par la transmission du dossier de cet additif alimentaire au parquet de la Cour de cassation (mesure prise par le ministre de la Santé, Waël Abou Faour). «Poursuivre les responsables et prendre les mesures judiciaires nécessaires à leur encontre» se fera sur quelle base en l’absence de contrôle nutritionnel? Quelles sont «ces normes libanaises relatives à la labné» qu’évoque le ministre de l’Industrie, Hussein Hajj Hassan?
Certaines substances alimentaires sont, certes, nuisibles à la santé. Toutefois, la question est de savoir jusqu’à quel point les normes alimentaires, pour la plupart, justifiées au départ, ont un effet pervers… ou non.
Un groupe de chercheurs libanais a choisi de travailler sur la détermination de la quantité des acides gras saturés et insaturés, dont l’utilisation est obligatoirement déclarée sur l’étiquette alimentaire des produits en question, selon les normes de la Food and Drug Administration (FDA). Après études sur trois aliments (les cornes grecques, les courgettes et les haricots), on a découvert que les cornes grecques contiennent plus d’acides gras insaturés que les courgettes et les haricots et que ces derniers possèdent une composition lipidique plus riche en acides gras saturés.
Présents notamment dans les graisses animales, les acides gras saturés, consommés en excès, augmentent le taux de LDL et de HDL.
D’autre part, selon l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), les acides gras insaturés trans (AG trans), d’origine industrielle et contenus dans les aliments préparés (gâteaux, pizzas, pâtes feuilletées…) ont un effet plus négatif que les acides gras saturés sur la santé. Ils sont mauvais pour le cœur puisqu’ils ne se contentent pas seulement d’augmenter le taux du «mauvais cholestérol» dans le sang, mais ils diminuent aussi celui du «bon cholestérol». «Pour limiter cette hécatombe, le Danemark a, le premier, interdit dès 2004 la commercialisation d’aliments dont plus de 2% des graisses sont des AG trans. Chercheur à l’Université de Copenhague, Steen Stender indique que «le nombre de décès pour causes cardiovasculaires a diminué de 70%». Chef de l’unité des risques liés à la nutrition à l’Anses, Irène Margaritis affirme qu’il «semble qu’il y ait eu une prise de conscience des industriels, et [que] certains ont diminué les quantités de gras trans incorporées dans leurs produits». Prise de conscience qui a été donc totalement justifiée.
En contrepartie, la mauvaise réputation des nitrates dans l’eau consommée n’est pas bien placée. Des preuves scientifiques ont démontré que ces composés ne sont pas aussi nocifs qu’on le pense. «Ils seraient même bénéfiques pour notre santé». La propagande anti-nitrates remonte à 1945, «lorsqu’un médecin américain, Hunter Comly, les incrimine dans le syndrome des bébés bleus, une mauvaise fixation de l’oxygène par les globules rouges». En 1970, les nitrates ont aussi été soupçonnés de réagir avec les protéines pour former des composés cancérigènes, les nitrosamines. «Du moins chez la souris, et à des doses extrêmes, car chez l’homme, cela n’a jamais été démontré». D’autant plus que les études les plus récentes prouvent le contraire: les nitrates alimentaires permettent à l’organisme de fabriquer du monoxyde d’azote, un puissant agent vasodilatateur. «Réduction de la tension artérielle, meilleure résistance au stress de la paroi vasculaire: les effets observés après la prise d’une boisson fortement nitratée vont tous dans le sens d’une réduction du risque d’infarctus ou d’attaque cérébrale». Ainsi, les autorités sanitaires qui ont surveillé la teneur de nitrates dans l’eau, mais qui encouragent les gens d’autre part à manger des légumes (qui renferment eux-aussi des nitrates) ont fait preuve de prise de décision paradoxale.
Les causes d’un tel phénomène sont nombreuses: la première est anthropologique. Face à une diversité d’aliments, l’homme se voit contraint à faire des choix, à distinguer entre ce qui est comestible et ce qui ne l’est pas. Sa méfiance déclenche donc chez lui l’instinct de survie. La deuxième raison se traduit par ce qui est implanté dans l’inconscient collectif par les religions et les croyances ancestrales. «Au rang des interdits dans les religions monothéistes, le cannibalisme est un tabou fondamental, tandis que dans les sociétés dites primitives, manger son ennemi revenait à s’approprier sa force». En troisième lieu, il s’agirait de marketing industriel favorisant certains produits aux dépens d’autres. Entre certitudes sans preuves et preuves sans agissement réel, notre assiette sombrera toujours dans la spirale des doutes.

Natasha Metni
 

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